Question de regard

Caroline Trucco, Poétique de la résistance : Bons baisers de Vintimille, 2016-2018 © Adagp, Paris 2023

Question de regard

Le MAMAC accueille l’exposition Oui, mais des mots étendards de la niçoise Caroline Trucco. C’est la première fois que l’artiste née en 1987 se voit présentée dans un musée !

Oui, mais des mots étendards montre un ensemble de travaux, fruit de 10 années d’exploration fondées sur « une démarche artistique liant, avec poésie, enjeux ethnographiques et politiques », via des moyens d’expression aussi divers que surprenants. En 2015, invitée au Salon de Montrouge, la jeune femme diplômée de l’École Supérieure d’Arts Plastiques de Monaco en 2013, expliquait: « Je me confronte à plusieurs mediums différents : l’écriture, la céramique, la photographie, le son, la vidéo… Dans mon travail j’essaie souvent d’entrecroiser des regards inversés Afrique-Occident, toujours à travers une multitude de mediums. Ça peut être l’exploitation d’archives, par le biais de recherches de terrain, de témoignages, je suis très intéressée par les transpositions linguistiques d’une langue à l’autre… » Chacune des productions de Caroline Trucco vient resserrer les fils qui sous-tendent la trame de sa narration.

Elle a aussi étudié la restauration/conservation d’objets ethnographiques africains à l’école d’art d’Avignon. Une révélation qui lui impose d’aller voir sur place. Le Togo, pour commencer. Choc visuel, sensitif, l’amenant à en dégager un questionnement d’ordre ethnographique, social, postcolonial, dicté par ses fréquents déplacements en Afrique de l’Ouest. Caroline Trucco, femme blanche, tente de démonter les rouages de la représentation occidentale d’une Afrique noire imaginaire à travers les notions de regard porté sur l’Autre et de rapport au monde. Se confronter à la réalité de terrain. Écrivains, penseurs – Aimé Césaire, Édouard Glissant, Jean Rouch, J-M Le Clézio… – irriguent son terreau de réflexion. Il en résulte des œuvres engagées qui cherchent à réparer autant que déclencher une prise de conscience. Exemple l’installation vidéo Moi, un noir 2017. Trois petites statuettes africaines placées autour d’un écran plat posé au sol sont en train de « regarder » la vidéo qui déroule les séquences de deux automates noirs bougeant la tête mécaniquement – une femme puis un homme – tandis que la boîte à musique égrène en continu les notes incongrues de La marche Turque de Mozart et celles de La Marseillaise. Mise en abyme cinglante d’un monde occidental qui a ravalé l’art riche de symbolique de la statuaire africaine, à un artisanat « exotique », décoratif et pittoresque.

En 1953, Chris Marker et Alain Resnais réalisaient Les statues meurent aussi, interdit de projection pendant 10 ans pour sa dénonciation cinglante des ravages du colonialisme. « Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme alors que l’art grec ou égyptien est au Louvre ?« , pointait à l’époque Alain Resnais. Allusion directe au documentaire, la photo de Caroline Trucco pour l’affiche de son exposition montre en gros plan une sculpture en bois dont le visage – bouche ouverte, langue sortie – est barré par une main noire plaquée sur ses yeux. 70 ans plus tard, la statuaire africaine est bien vivante. Elle tire la langue à l’Occident. Michèle Nakache

Jusqu’au 1er oct, MAMAC, Nice. Rens: mamac-nice.org
photo: Caroline Trucco, Poétique de la résistance : Bons baisers de Vintimille, 2016-2018 © Adagp, Paris 2023