Toutes les mères le savent…

Misericordia © Christophe Raynaud de Lage

Toutes les mères le savent…

À Toulon, le Théâtre Le Liberté boucle sa saison avec Misericordia d’Emma Dante, figure de premier plan sur la scène contemporaine en Europe : soit le portrait de 3 femmes liées par l’engagement de veiller sur Arturo, fils né prématuré et attardé des coups de son père sur leur amie Lucia, décédée deux heures après l’accouchement…

Pour cette création chorale et chorégraphique présentée en 2021 à Avignon, l’Italienne dramaturge et metteure en scène aborde des thèmes qui lui sont chers. Marginalité, amour maternel, famille, symbolique des corps, handicap, violence ancestrale des hommes sur les femmes…

Dans la masure suintante de dénuement qui leur sert de foyer, Bettina, Nuzza et Anna ont fusionné leur misère, leur rage de vivre et leurs indigentes solitudes. Il faut nourrir Arturo. Combat de tous les instants. Le jour leurs aiguilles tricotent sans relâche. Et la nuit leurs corps délabrés sont à vendre sans honte ni complexe. La chair reste la chair. Pas le choix, alors autant y aller franco. Drame néoréaliste à l’italienne d’une condition humaine à la marge et démunie qu’illuminent les explosives prises de bec de ces matrones guerrières, qui s’insultent en dialecte sicilien ou napolitain (surtitré bien sûr), se castagnent en s’arrachant la tignasse mais, toujours, se rabibochent dans un éclat de rire salace, au nom de leur mission. Abreuvé d’un amour maternel puissance 3, l’enfant mutique secoué de spasmes anarchiques se déploie, joyeux.

Bouleversante famille recomposée que cet atypique quatuor où langage du corps et langage des mots entrent en sympathie par la gestuelle affutée du danseur Simone Zambelli et les truculentes attitudes des comédiennes Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco et Leonarda Saffi. Plus les personnages se mettent à nu en se déshabillant sous nos yeux, plus ils se parent de dignité face à l’insoutenable indignité de leur misère. Arturo, le nouveau-né en couche-culotte, le garçon vêtu d’une robe récupérée dans une poubelle, a grandi. Il ne parle toujours pas mais ses mères lui ont appris à s’habiller tout seul. Elles ont préparé sa valise. Elles ont placé Arturo dans un établissement spécialisé avec l’espoir d’une vie adoucie. Il faut se dire au revoir. Un jour l’enfant devenu grand s’en va. Toutes les mères le savent. Arturo se retourne et prononce le mot mamma.  Mission accomplie.

3 juin 20h30, Théâtre Liberté, Toulon.

Rens: chateauvallon-liberte.fr

photo: Misericordia © Christophe Raynaud de Lage