La métamorphose d’un peintre

Henri Matisse, La Grande Robe bleue et mimosas, 1937, huile sur toile, 92,7 x 73,7 cm, Philadelphia Museum of Art: Gift of Mrs. John Wintersteen © Succession H. Matisse Photo © PMA - Joseph Hu

La métamorphose d’un peintre

« Devant la toile, je n’ai aucune idée« , déplore Matisse en 1929. Le peintre est alors saisi par le doute, il ne peint presque plus et ne se consacre que peu au dessin et à la sculpture. Pourtant, au même moment, les premiers numéros des Cahiers d’Art célèbrent les avant-gardes en mettant au premier plan Picasso et le Maître du fauvisme…

Aujourd’hui, après le Musée de l’Orangerie à Paris, c’est au tour de Nice d’accueillir l’exposition Matisse années 1930. À travers Cahiers d’art, récit d’une métamorphose. Sous le prisme de la revue et de son aventure esthétique à laquelle Matisse contribua, ce sont des dizaines de documents et d’œuvres majeures qui illustrent cette décennie lors de laquelle l’artiste se réinventa.

En 1930, Matisse rompt les amarres. Il quitte Nice et se lance dans un long périple de cinq mois qui le mènera à New York avec l’architecture de la lumière dans la découpe des gratte-ciels, puis Chicago et le voyage en train jusqu’à San Francisco. Là il embarque pour Tahiti avec le souvenir des couleurs de Gauguin. C’est alors, à 60 ans, un émerveillement pour les Tropiques, l’eau, le vent, les palmes dans leur éblouissement apaisé. Pourtant l’inspiration l’a délaissé, il ne peint plus.

Il a toutefois accepté la commande du collectionneur Albert C. Barnes pour la Fondation qu’il vient d’ouvrir près de Philadelphie. À son retour à Nice, Matisse travaille donc sur une vaste composition murale sur le thème de la danse. Il abandonne alors la peinture de chevalet et le genre intimiste pour laisser s’épanouir lignes et courbes déjà esquissées dans ses Odalisques pour la seule apothéose d’une couleur pure. Toutes ces années seront marquées par la nouvelle jeunesse de Matisse dans cette recherche d’idéalisation et cette volonté de synthèse qu’il exprimera par ces mots: « Faire passer l’esprit dans la main et non la main par l’esprit. »

Inspirées par la tradition de la fresque, les études de La danse et les premiers papiers gouachés découpés traduisent ce bouleversement dans la quête d’une harmonie parfaite de la forme et de la couleur. Les éléments décoratifs se réduisent désormais à des signes. Les aplats colorés se conjuguent à une stylisation épurée qui conduit Matisse aux confins de l’abstraction. Le sujet de la peinture, ce ne sera plus que cela: l’espace qui se libère par la seule tension de la couleur et de la ligne. Et voici la célébration d’une humanité heureuse à travers un parcours jalonné d’œuvres souvent en provenance de grands musées américains et réalisées durant cette décennie: Le grand nu couché de Baltimore, Le Chant de Houston, jusqu’à la fameuse série des Blouses roumaines. Chacun éprouvera les flux de ce rythme coloré et l’impact de sa douceur ou de son envol. Un hymne à la joie.

Michel Gathier (lartdenice.blogspot.com)
23 juin au 24 sep, Musée Matisse, Nice. Rens: musee-matisse-nice.org 
photo: Henri Matisse, La Grande Robe bleue et mimosas, 1937, huile sur toile, © PMA – Joseph Hu