Georges Rouault, peintre ardent

Georges Rouault, peintre ardent

L’Abbaye de La Celle accueille actuellement l’exposition Miserere, le chef-d’œuvre de Georges Rouault, initiée par le Département du Var, en partenariat avec la Fondation des Treilles à Tourtour et la Fondation Georges Rouault à Paris.

Suite monumentale de 58 gravures à l’eau-forte qui regroupe « l’album » Miserere, inspiré par le psaume 51, Aie pitié de moi, Seigneur, il représente un axe majeur dans le parcours de cet artiste profondément chrétien. Un « peintre de la compassion » dans un XXe siècle en plein chamboulement théorique où art et religion séparaient leurs routes, ayant échappé aux nouveaux courants picturaux – cubisme, fauvisme, expressionnisme – et au sein desquels une critique d’art déconcertée cherchait à le caser. 

Georges Rouault nait le 27 mai 1871 à Belleville, quartier modeste des petits artisans. Un grand-père qui l’ouvre à l’art de Courbet, Manet, Daumier. Apprenti verrier à 14 ans, puis chez un créateur de vitrail. Cours du soir à l’École des Arts Décoratifs. Visiteur assidu du Louvre, le Moyen-Âge et Rembrandt le fascinent. Reçu au concours de l’École des Beaux-Arts en 1890, Rouault côtoie Matisse et Marquet dans l’atelier de Gustave Moreau. Rencontre décisive pour Rouault stimulé par l’enseignement libéral d’un maître qui l’éveille à Shakespeare, à Baudelaire dont il retient « la poétique du choc » et l’encourage à élargir son champ de réflexion : « Je vous explique beaucoup de choses, prenez ce qui vous convient et laissez le reste« . Rouault rompt avec l’académisme de l’École après deux refus au concours de Rome. Dès lors, mû par l’intuition impérieuse de sa foi intérieure, Rouault obéira à son besoin le plus primitif de créer un langage pictural autonome. 

Solitude, crise morale, dépression. En 1912, Rouault écrit: « C’est à la suite de la mort de mon père que j’ai fait une série intitulée Miserere où je crois avoir mis le meilleur de moi-même. » Premiers dessins à l’encre de Chine, qu’il affectionne. Séduit, le marchand d’art Ambroise Vollard lui aménage un atelier et passe commande. Plus de 10 années d’un travail sans relâche engagées dans une méditation qui part de la condition humaine et de son universelle tragédie funestement confirmée, deux ans, plus tard par les horreurs de la guerre de 14-18. Les dernières gravures datent de 1927. Nombreux retards, mort de Vollard en 1939, 2e Guerre Mondiale, procès pour récupérer la propriété de sa production mise sous scellés. Miserere ne paraîtra qu’en 1948. 

Rouault homme du peuple, a centré la misère sociale au cœur de son travail, où, pêle-mêle et au même plan, entre profane et sacré, filles du pavé, clowns, bourgeoises, pauvres bougres, juges, rois et Christ en croix font route ensemble. Dans le silence recueilli des épaisses pierres de la longue salle médiévale de La Celle, Miserere n’attend plus que les visiteurs pour réveiller la force spirituelle et l’absolu dénuement de ses pathétiques et palpitantes images blanches et noires. « Toute mon œuvre est religieuse pour qui sait voir. » À contempler, jusqu’au 17 septembre 2023.

13 mai au 17 sep, Abbaye de la Celle. Rens: abbayedelacelle.fr

photo: vue de l’exposition, Miserere, le chef-d’œuvre de Georges Rouault © N. Lacroix, Département du Var