Théâtres en Dracénie : la saison des superlatifs

Théâtres en Dracénie : la saison des superlatifs

Maria Claverie-Ricard, directrice de Théâtres en Dracénie, vient de présenter la saison 2023-2024 de l’établissement varois. Et comme chaque année, ce fut un grand moment d’amusement et de découvertes. Pour elle, pour son équipe, comme pour le public venu en nombre découvrir ce qui l’attend. Donc, pour rester dans le ton de cette soirée de présentation, on peut dire qu’elle va être « incroyable »…

Nous connaissons bien les tics de langage de tout directeur de salles, voire de certains journalistes, alignant les superlatifs comme des perles dès lors qu’ils parlent d’un spectacle. Alors, à cette occasion, Maria Claverie-Ricard a tenté quelque chose… « Je vais essayer ce soir un exercice qui va me demander beaucoup de concentration. Je vais essayer d’éviter les sempiternels : spectacle magnifique, juste incroyable, génial, ovationné à Avignon (ça nous fait une belle jambe), moliérisé (pour ce que ça vaut), drôle, hilarant, à mourir de rire, encensé par la presse, et j’en passe… » Le public a visiblement apprécié. Puis de poursuivre, au sujet de la saison qui vient de s’écouler: « Il ne faut quand même pas exagérer, elle n’était pas si extraordinaire que ça… Non, mais sans rire, entre ceux qui se prétendent danseurs, qui font coin-coin sur scène en tutu et bas-résille, histoire de faire rire… Et les cartons, on en parle ! Un spectacle qui coûte une blinde alors qu’ils ne se sont pas foulés les mecs : ils sont juste allés voir les déménageurs bretons pour récupérer des cartons gratos… Et la féministe alors ! À cause d’elle j’ai loupé le 1/4 de finale de la Coupe du Monde… » Et ainsi de suite, ou comment, devant un parterre amusé, dézinguer sa propre saison en quelques minutes, au cours d’un moment savoureux d’autodérision. L’idée étant d’évoquer cette nouvelle saison 2023-2024 sans tomber dans la surenchère, disons que ce fut un admirable échec, car bien entendu la passion a forcément pris le dessus

L’impruDanse d’une ambition

Notamment au moment de présenter la prochaine édition du festival L’ImpruDanse. Après un interlude poétique assuré par deux artistes associés – le dramaturge Julien Avril et le chorégraphe Nacim Battou ont lu et dansé un très beau texte sur notre monde qui ne tourne malheureusement pas très rond, la maîtresse des lieux nous a déroulé cette édition 2024 qui prend une nouvelle dimension : 3 semaines de festival pour 13 spectacles qui investiront tout le territoire de la Dracénie, des rendez-vous insolites, des impromptus, des projections, un véritable « village du festival » au cœur du théâtre pour échanger avec les artistes, ou encore une exposition consacrée à Angelin Preljocaj… C’est d’ailleurs le chorégraphe français qui ouvrira cette 8e édition et mettra en miroir plusieurs écritures de son répertoire, dont une nouvelle création, avant que ne se succèdent les spectacles de Nacim Battou, qui proposera Notre dernière nuit, décliné en trois épisodes, Damien Droin et son aérien Poids des nuages, l’immense Carolyn Carlson dans un hymne à la nature, Jean-Claude Gallotta qui offrira une Pénélope ardente et fatale, Marion Motin, Hamid Ben Mahi, Émilie Lalande, qui « s’attaque » à Stravinsky après s’être amusée avec Prokofiev, Mozart et Saint-Saëns, mais aussi Anne Nguyen, et le danseur-chorégraphe Ousmane Sy, tragiquement disparu en 2020 juste après nous avoir légué sa dernière création, One Shot. Une nouvelle édition de L’impruDanse dont le fil conducteur sera la femme, qu’elle soit chorégraphe, danseuse, ou sujet du spectacle. Une édition très ambitieuse donc ! Et non, ce n’est pas un superlatif, c’est un fait.

Temps fort de chaque saison, L’impruDanse ne sera pas le seul moment où les arts du corps tiendront le haut de l’affiche : on pourra assister au spectaculaire show de la compagnie chinoise B.Dance, Alice, librement inspiré de Lewis Carroll (collaboration avec le Festival de Danse de Cannes), au Magnifiques (c’est son titre) de Michel Kéléménis, lors du Festival Play Bach au printemps 2024. Sans oublier, dès l’ouverture de saison en septembre, Duel Reality du Collectif Les 7 doigts de la main, qui reviendra, 8 mois après un dernier crochet par Draguignan, transformer le plateau en arène de sport. Un spectacle à la croisée du cirque, du cabaret et de la danse, où la compétition sera un jeu et l’amour un combat, pour une relecture du mythique (qualificatif amplement justifié,) Romeo et Juliette. Autre fidèle de la scène dracenoise, le Cirque Eloize mariera pour sa part le conte, le cirque et la musique, dans Entre ciel et mer. Ces deux derniers sont à voir en famille.

Plaisirs partagés

Car c’est aussi ça Théâtres en Dracénie, un nombre important de spectacles accessibles aux plus jeunes : tels Les petites géométries de la Cie Juscomama, des relectures de contes comme Le soldat et la ballerine d’après Andersen, et Le Petit chaperon rouge qui mêle théâtre et arts numériques. De même 50 Years, présenté par la troupe suisse Mummenschanz. Ces « Musiciens du Silence » fêteront leur jubilé avec un spectacle hors norme : ni comédie, ni danse, ni théâtre, ni mime, mais un peu tout à la fois. Une chose est sûre, on sourit énormément. Et l’on rit, comme dans cette adaptation de L’Avare par l’ex-Deschiens Jérôme Deschamps, avec les humoristes singuliers Jérôme Rouger (En cas de péril imminent) et Thomas Wiesel (Travaille), ou avec Samuel Ayache dans le clownesque, tragique et déjanté Sans Tambour, succès au dernier Festival d’Avignon. Autre succès, mais à la cérémonie des Molières (meilleure création visuelle), l’adaptation de 20 000 lieues sous les mers par le duo de cinglés – c’est un compliment – Christian Hecq et Valérie Lesort

Vous l’aurez compris, malgré le joyeux du discours de Maria Claverie-Ricard, il se pourrait bien-être que cette nouvelle saison soit celle de tous les superlatifs ! Et encore nous n’avons évoqué qu’une partie de la programmation, puisque nous n’avons pas parlé des concerts qui jalonneront cette saison, parmi lesquels ceux du mélancolique Tim Dup, de Martin Luminet, d’André Manoukian, ou encore de Blick Bassy, artiste camerounais à la voix nimbée de lumière, qui s’est engagé avec son dernier opus, 1958, dans un plaidoyer poétique et écologique. Allez, je crois que nous pouvons d’ores et déjà qualifier la saison 2023-2024 d’exceptionnelle – le mot est lâché !

Dès le 6 sep, Théâtre de l’Esplanade, Draguignan. Rens: theatresendracenie.com

photo: The Tree, Angelin Preljocaj, programmé au Festival L’Imprudanse 2024 © DR