
05 Sep La modernité selon Lakmé
Lakmé et son célèbre « duo des fleurs », chef-d’œuvre de Delibes, est à l’affiche de l’Opéra de Nice en ce début de saison. Une pièce extrêmement moderne pour l’époque, à plus d’un titre…
Edmond Gondinet et Philippe Gille, journalistes et futurs auteurs du livret de cet opéra figurant parmi les 10 titres français les plus joués au monde, conseillent à Léo Delibes de lire le roman de Pierre Loti, Rarahu, idylle polynésienne. « La couleur, l’idée d’une passion sauvage aux prises avec notre civilisation européenne nous paraissent séduisantes« , estiment-ils. Nous sommes alors en 1881, il donc impensable de remettre en question la colonisation française, même dans un opéra-comique ! Aussi c’est grâce à un ouvrage de Théodore Pavie, qui racontait la vengeance d’un brahmane humilié par un Anglais, que l’idée de détourner le propos vers la Perfide Albion fait son chemin. Bien vu, car au même moment le sentiment anglophobe est très présent dans l’Hexagone. Lakmé est probablement l’une des premières œuvres lyriques mettant en scène des individus confrontés au problème de la colonisation, tel qu’il se pose à la fin du 19e siècle.
Moderne à plus d’un titre, disions-nous, cette œuvre imagine aussi comme élément central de la narration, une rencontre amoureuse transculturelle contemporaine en pointant son impossibilité absolue : l’histoire de Gérald, militaire britannique, qui découvre au hasard de ses pérégrinations indiennes la jeune Lakmé. Tels Roméo et Juliette, nos deux protagonistes s’éprennent l’un de l’autre malgré l’interdit. Au grand dam du père de la belle, l’intransigeant brahmane Nilakantha, qui tentera de se débarrasser du jeune officier… Car il est bien là le véritable sujet de Lakmé : un choc des cultures et un constat d’échec. Et près de 150 ans plus tard, peu de choses ont changé…
Coproduit par l’Opéra de Nice, l’Opéra national du Rhin et l’Opéra-Comique, là même où naquit l’œuvre en 1883, et recréée en 2022, toujours à Paris, l’œuvre de Delibes convoquera à Nice l’un des plus grands spécialistes de l’opéra français, Jacques Lacombe, au pupitre, Kathryn Lewek en héroïne indienne (déjà rôle-titre dans Lucia di Lammermoor la saison dernière) et Thomas Bettinger en amoureux transi. Quant à la mise en scène signée Laurent Pelly, également en charge des costumes et épaulé par Camille Dugas pour les décors, elle prend le contre-pied d’un exotisme à grand spectacle et opte pour la sobriété, en dépouillant délibérément la scénographie d’allusions par trop appuyées à une Inde idyllique telle que les Européens la fantasmaient au 19e siècle ; les couleurs ne sont donc pas au rendez-vous des décors et costumes. Mais les classieux jeux d’éclairages signés Joël Adam se chargent à eux seuls de replacer les spectateurs dans un contexte chamarré. Quand on vous dit moderne à plus d’un titre…
29 sep & 3 oct 20h, 1er oct 15h, Opéra de Nice. Rens: opera-nice.org
photo: Lakmé © Stefan Brion