31 Oct Péril en la demeure
C’est un événement ! La Troupe de la Comédie Française sera sur les planches d’Anthéa, du 16 au 18 novembre, pour dire les vers de Tartuffe ou l’Hypocrite, version inédite et originelle en 3 actes de la comédie de Molière. Elle a été présentée à Paris, dans le Palais-Royal, Salle Richelieu, le 15 janvier 2022, jour du 400e anniversaire du baptême de l’auteur, en ouverture des nombreuses célébrations qui ont suivi. Explications.
Il s’agit de la première version de la pièce, dont le texte n’a pas été conservé, mais que Georges Forestier, spécialiste de Molière, a reconstruite en développant la technique de « génétique théâtrale ». Cette représentation fut donnée en privé le 12 mai 1664, devant Louis XIV, au château de Versailles sous les rires du public et du jeune souverain de 25 ans. Mais dès le lendemain, le roi, conseillé par Mgr Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, fait interdire le divertissement qui tourne en dérision les bigots zélés et pourfend la dévotion qui est au cœur de la religion catholique. Molière ne renonce pas à son œuvre mais s’autocensure en remaniant le texte, refusé à deux reprises. 5 ans plus tard, la pièce obtient enfin l’autorisation d’être jouée au Théâtre du Palais Royal, le 5 février 1669. Augmentée de deux actes, et lestée d’un dénouement heureux grâce à l’intervention du roi en sauveur, voici Tartuffe ou l’imposteur que nous connaissons. Pour Forestier, « ce n’est pas pour rien que Molière change le titre qui était Tartuffe ou l’Hypocrite, c’est-à-dire un Tartuffe qui était un dévot, qui voudrait guider la famille et en fait qui ne peut pas résister lui-même à la tentation, à se découvrir à la dame dont il est tombé amoureux, à lui proposer l’adultère. Il est donc obligé de mettre un masque et de tomber dans l’hypocrisie. »
Plus dense, c’est cette version que le belge Ivo Van Hove, réputé dans le monde théâtral, a choisi de mettre en scène, car, dit-il : « Dans toute bonne comédie, il y a toujours une âme noire. Il faut découvrir l’âme noire. » Le dramaturge resserre l’intrigue sur la tension sexuelle entre Elmire, femme d’Orgon (Marina Hands) et ce jeune clochard (Christophe Montenez), ramené dans sa demeure bourgeoise par Orgon, époux d’Elmire et maître des lieux (Denis Podalydes). Du bain purificateur émerge un Tartuffe magnétique, qu’on habille de noir et blanc comme les autres personnages. Il va dynamiter le noyau familial de l’intérieur. Molière a écrit des drames sociaux qui parlent de la famille, de ses dysfonctionnements intemporels, du désir. Les peaux se cherchent, les corps s’attisent, on se défie, le verbe tue. Aveux et violence. Dorine la suivante, voix de la sagesse (Dominique Blanc). Ambiance oppressante amplifiée par l’omniprésence de la musique du compositeur oscarisé Alexandre Desplat. Il y a péril en la demeure. Qui aura le dernier mot ?
16 nov 20h, 17 nov 20h30, 18 nov 19h, Anthéa, Antibes. Rens: anthea-antibes.fr
photo : Le tartuffe ou l’hypocrite © Jan Verseyweld