Dom Juan, cœur de pierre

Dom Juan ou le festin de pierre © Arnaud Bertereau

Dom Juan, cœur de pierre

Créé le 17 janvier 2023, au Théâtre du Nord à Lille, des milliers de spectateurs ont depuis plébiscité Dom Juan ou le Festin de Pierre de Molière, mis en scène par David Bobée, Directeur du Théâtre du Nord. De cette figure légendaire, il fait une relecture cinglante et démystifiée. À Anthéa, pour deux représentations.

Après Peer Gynt, Hamlet, Lucrèce Borgia… David Bobée hésitait face à Dom Juan : «J’esquivais Molière… J’ai découvert une langue fantastique… Je me suis rendu compte de la complexité que Molière lui-même entretenait avec son personnage. J’ai constaté que Dom Juan n’était pas problématique seulement parce que c’était une pièce misogyne, mais que cette pièce était l’expression de tous types de domination… Classiste, sexiste, glottophobe, dominant… Chaque scène montre une forme de domination contre laquelle je me bats dans mon travail quotidien, artistique, politique à l’endroit de la direction d’un théâtre…»

Car Dom Juan, tel un bon vieux James Bond, coche toutes les mauvaises cases qui ont fait sa renommée ; misogyne invétéré, les femmes succombent pourtant. Aucune ne reste insensible à son pouvoir de séduction et ses belles paroles. Prêt à tout, surtout quand elles résistent, il n’hésite pas à promettre le mariage à Elvire (Nadège Cathelineau), puis zappe aussi sec. Éternel fuyard, conquérant inassouvi, jeunes, vieilles, laides, belles, épouses fidèles, riches ou servantes, il les veut toutes, et tous : Pierrot (Jin Xuan Mao) et Charlotte (Xiao Yi Liu) qui jouent leur texte en mandarin surtritré. Ce séducteur compulsif ne cherche qu’à se séduire lui-même. L’homme est un sprinter des sentiments qui trace droit vers sa triste fin en brisant les cœurs et les âmes. Imbu des privilèges de sa classe, il se moque aussi des paysans, de leur accent, humilie les petites gens, tel l’obèse Monsieur Dimanche (Grégori Miège). Dans son sillage, tout est malheur et chaos. Pour Dom Juan le monde est immuable. Sauf que depuis #MeToo, ce monde a changé et les femmes ont appris à dire non.

La troupe, composée d’une distribution sous le signe de la diversité, enveloppe la performance de Radouan Leflahi (33 ans), Dom Juan rageur et charismatique. Tout de violence intérieure, il ré-invente un être nihiliste et prédateur à l’aune de l’an 2023. Projeté dans un écrasant décor de colossales statues grecques émasculées et affalées au sol, Il livre une sombre et turbulente interprétation que vient éclairer de sa malice le jeune acteur et chanteur congolais Shade Hardy (24 ans), dans le rôle du valet Sganarelle : «Mon maître est le plus grand scélérat que la terre ait porté !» C’est lui qui ouvre la pièce par un monologue où le mot théâtre remplace le mot tabac, seule modification dans le texte. Ce faisant, David Bobée, «par l’art de la coupe et la juxtaposition», pose une question : «Faut-il déboulonner les statues de l’Histoire ?»

16 jan 20h, Anthéa, Antibes. Rens : anthea-antibes.fr
Dom Juan ou le festin de pierre © Arnaud Bertereau