27 Fév Cassandra Felgueiras : « Faire l’expérience de la pleine présence »
Corneille, le classique, avait sans doute raison : aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Rencontre avec la jeune Cassandra Felgueiras, artiste plasticienne sensorielle qui monte, qui monte, qui monte…
« Vous n’avez que 30 ans, mais déjà un long parcours artistique et créatif derrière vous.
Il s’est passé pas mal de choses ces dix dernières années, entre performances artistiques et expérimentations. J’ai ainsi pu affiner mes problématiques de plasticienne.
Quels sont les éléments marquants de votre parcours ?
Un bac option arts plastiques, puis un DNSEP (Diplôme national supérieur d’expression plastique) aux Beaux-Arts de l’École Supérieure d’Art et Design Toulon Provence Méditerranée. J’ai commencé à élaborer mes problématiques en tant qu’artiste au cours de ce cursus. Ce qui a été décisif également : l’obtention de la bourse Déclics jeune, de la Fondation de France, qui m’a offert nombre d’opportunités par la suite. Et l’an passé, j’ai été lauréate du Salon Divers 2023, de la ville de La Garde, qui rassemble chaque année une vingtaine de plasticiens. Mon œuvre, baptisée 125,28 Hz, est une installation multimédia accompagnée d’une boucle sonore stéréo spatialisée. S’appuyant sur une fréquence sonore utilisée en sonothérapie, l’installation invite le visiteur à se déchausser et à parcourir un itinéraire sensoriel à travers des « pas japonais » luminescents.
Quels artistes ou courants vous ont influencée ?
Plusieurs artistes ont enrichi ma conception et ma démarche artistique. Tout d’abord, ma mère et ma sœur, qui sont également artistes. Puis l’Américaine Laurie Anderson, artiste expérimentale et musicienne, et l’américain John Cage, compositeur de musique contemporaine expérimentale, poète et philosophe. Mais aussi la Canadienne Janet Cardiff, créatrice d’installations sonores et de promenades audios, Alvin Lucier, compositeur américain, ou encore Josef Beuys, dessinateur, sculpteur et professeur allemand.
Vos domaines de recherche ou vos médiums de prédilection ?
La création de ma Body Bass, une basse électrique à armature métallique, à résonnance corporelle, qui permet de ressentir les sons, a été déterminante dans mon parcours. J’ai également créé d’autres instruments à cordes, un violon et un violoncelle. Étant musicienne moi-même, je souhaitais prendre le corps comme caisse de résonnance, faire fusionner le corps et les instruments. Instruments et corps ont notamment comme point commun cette caisse de résonance, la tête ou le tronc. J’ai fait cette expérience lors de performances artistiques, permettant de percevoir la double appréciation, la dimension vibratoire et la sensation auditive aérienne, le tactile et l’auditif. Cela m’a fait penser aux personnes malentendantes ou sourdes. J’ai donc mis en place des ateliers de recherche. Ma mère menait elle-même des ateliers avec des personnes déficientes visuelles : cela a dû me marquer. Et la relation avec d’autres artistes m’a influencé côté dimension corporelle, notion de temps, comme selon John Cage ; quant à Laurie Anderson, sa Handphone Table ou table de transmission des sons par les coudes m’a beaucoup inspirée dans cette création d’instruments.
Votre travail est-il essentiellement basé sur les sens, le sensoriel ?
Dans ma pratique artistique, il y a plusieurs orientations. Les instruments à cordes pour personnes sourdes et malentendantes ne représentent pas tout mon travail ; ce n’est pas central dans mes problématiques. En revanche, ce qui est central, c’est la question de la présence, de l’état de présence. Mon installation, sur les pas japonais et l’itinéraire sensoriel associé, invite les personnes à se connecter à leurs sensations, et à expérimenter comme une interface sensible. C’est par ce canal-là qu’on peut faire l’expérience d’une pleine présence.
Que se passe-t-il actuellement dans votre actualité ou côté projets ?
Les ateliers hebdomadaires, réalisés pendant un an, ont été filmés et le film qui en résulte, Le journal d’une jeune femme sourde de Frank Cassenti, cinéaste, metteur en scène et musicien, est à présent disponible sur la plate-forme Cinémutins (et disponible pour des projections publiques sur demande). Ce film évoque notamment la rencontre avec Lily Regnault, devenue sourde suite à une maladie neurologique, et qui peut rejouer de la musique grâce à la Body Bass, au sein d’un groupe de musiciens entendants. Parallèlement, jusqu’au 6 mars, mon travail est donc visible à la Galerie G de la ville de La Garde. Enfin, en partenariat avec la Philharmonie de Paris et l’Itemm (institut technologique européen des métiers de la musique/rechercher acoustique), un modèle abouti de Body Bass a pu être financé et fabriqué. Ce modèle va être proposé à des instituts et à des conservatoires qui auraient le désir d’ouvrir une pratique musicale au public sourd et malentendant.
D’autres partenariats ou collaborations en vue ?
Je retravaillerais volontiers avec Metaxu, l’espace d’artistes de Toulon, lieu unique de recherche et de création, avec lequel j’ai beaucoup collaboré dernièrement. Et je coopèrerais volontiers avec les équipes de Châteauvallon-Liberté ! »
L’appel est lancé…
Installation multimédia 125,28 Hz, jusqu’ au 6 mars, Galerie G, La Garde. Rens : FB Galerie G. Plus d’infos sur l’artiste : @cassandra_felgueiras – FB cassandra.felgueiras.5
photo Une : Cassandra Felgueiras © Lucien Lung