27 Fév Simone Simon : du portrait au paysage, la vibration du vivant
Aguerrie à la prise de vue qu’elle a éprouvée au cours d’une importante carrière de photographe de mode, Simone Simon s’intéresse à l’identité et à la mémoire, en s’attachant aux aspects sociaux et politiques qui font notre monde occidental. Dès le début de sa pratique artistique, elle recueille des témoignages – souvent des témoignages de femmes – qu’elle restitue par ses images brutes et sans retouche, enrichies parfois d’enregistrements sonores, écrits et vidéo. Portrait.
Sur son œuvre, Simone Simon porte un regard aiguisé et sans détour. Elle aborde ses sujets de prédilections avec simplicité et pudeur, et inscrit son travail rigoureux dans le temps, avec méthode. « J’ai commencé ma pratique artistique avec la série Nostalgie du présent », dont le titre est emprunté à un passage de L’invention de la solitude de Paul Auster, un écrivain dont elle connaît bien l’œuvre, « qui court sur l’idée du hasard« . Pour cette toute première série au début des années 2000, elle réalise le portrait de plasticiens et comédiens, puis leur demande de lui adresser un portrait d’eux, enfants. « En découvrant le portrait sorti de l’album de famille, je me suis trouvée parfois face à des hasards magnifiques« , où le regard de l’enfant est déjà traversé par la profondeur ou l’étincelle qu’on lui reconnait plus tard.
Ses projets suivants ont été inspirés par des problématiques sociales et humaines. Avec la série Sur le passage de quelques personnes à travers, elle dessine le portrait d’un quartier à travers sa population, par des prises de vue d’anonymes, de passants. En immersion dans un club de boxe cosmopolite d’un quartier niçois (Boxing Club, un film réalisé avec Éric Antolinos), puis au contact de femmes du même quartier dont l’immeuble insalubre allait être démoli (Les Portes du Saint-Pierre, photographies et témoignages de femmes), elle a continué à s’intéresser à des sujets sociaux : « Je voulais me rendre compte par moi-même de l’état des choses : j’ai été, j’ai vu. » Lorsqu’elle entreprend Ne regardez pas le renard passer, témoignages oraux du premier souvenir d’enfant, elle se positionne à nouveau dans une démarche où elle a « affaire aux autres. Finalement, je cherche à passer au travers des autres pour m’exprimer. » Ce qu’elle réalise en se tenant en retrait, sans intervention ni commentaire et laissant la place à la spontanéité et au libre arbitre. Il en résulte une intégrité des mots et des postures, une prise de vue du réel.
Parler des femmes et du féminisme avec Simone Simon tombe sous le sens : « Quand j’ai commencé la photo de mode dans les années 70, certains confrères me traitaient de « photographieuse ». C’était une façon très dédaigneuse de me faire remarquer que je n’avais rien à faire là, en tant que femme. » Les femmes étaient de l’autre côté de l’appareil, obsédées par leur corps puisque cette industrie l’exige. « Et le regard des hommes sur elles était odieux. À l’époque, les femmes avaient envie de travailler avec moi, ou avec d’autres femmes photographes, parce que ça leur laissait un peu de répit, ça écartait une crainte d’agression. Et puis les femmes n’ont pas toujours envie d’être draguées et séduites ! » Face à des comportements si méprisants et agressifs, soit les femmes ont la force et l’opportunité de se montrer déterminées et malines, soit elles sont prises au piège d’une violence souvent invisible. Si Simone Simon ne comprend pas vraiment ce qu’on entend par »être une femme » ou »se sentir femme » – « Je me considère d’abord comme humaine » –, son appréhension du féminisme est en revanche limpide. « J’ai toujours été féministe, puisque je n’ai jamais pensé que les hommes m’étaient supérieurs. J’ai même plutôt pensé l’inverse ! J’ai toujours été admirative de la force physique des hommes, de leur corps, tout ce qui constitue au fond le cliché de l’homme. Mais quand on enlève le cliché, je pense que nous sommes peut-être plus intelligentes et sensibles – bien qu’on ne puisse pas en faire une règle générale – mais surtout plus capables : on nous demande tellement !«
Avec la série NU, et par une question a priori simple, elle fait émerger des sentiments profonds et invite à livrer des convictions fortes : « Quels rapports entretenez-vous avec votre corps ?« , demande-t-elle à des femmes de tous âges posant nues. Par leurs postures et leurs récits, elles affirment leur droit d’être elles-mêmes, sans diktats ni jugements, et retracent des étapes parfois douloureuses dans la vie d’une femme.
Depuis plusieurs années, Simone Simon photographie des paysages, des lignes d’horizon, des espaces abandonnés par les hommes, mais dont les activités ont laissé des marques fortes. Sa récente série, toujours en cours, marque en effet un tournant dans sa pratique. Au rythme du paysage rassemble des images captées en différents lieux d’Europe et des États-Unis. « Ma recherche va aujourd’hui vers l’abstraction, ou du moins vers des photos qui amènent au rêve plutôt qu’à la douleur. Je suis dans un esprit méditatif, dans une démarche plus personnelle. Il y a dans ce travail un énorme facteur de hasard. Je ne fais jamais aucune retouche : la réalisation de mes images se fait à la prise de vue. » Par un geste qui nécessite une grande maîtrise technique, l’artiste fixe une image qui semble filer en flou et le paysage se fait vibrant et mystérieux.
Dans ce chemin qu’elle trace vers l’abstrait, Simone Simon continue de voyager vers de nouveaux paysages, aussi pour le « mouvement mental » qu’offrent ses périples. « Un ami m’a dit récemment que je parlais comme si j’avais la vie devant moi. C’est vrai que je regarde toujours devant, et j’essaye de faire le mieux possible, au temps présent. »
Rens: simonesimon.com