Un coeur brisé de papillon

Un coeur brisé de papillon

Pour le 100e anniversaire de la mort de Giacomo Puccini (1858-1924), le théâtre Anthéa et l’Opéra de Nice honoreront le compositeur avec Madama Butterfly, en mars. Cet opéra en trois actes, dirigé par Daniele Callegari et mis en scène par Daniel Benoin, est le 6e opéra le plus joué au monde, après Tosca. 

Première de Madama Butterfly, le 17 février 1904, à la Scala de Milan. Fort de l’engouement du public pour La Bohème et Tosca, Puccini est surpris d’entendre les gens siffler dans la salle. Il revoit sa copie et revient en mai 1904 au Teatro Grande de Bresci, avec une Madama Butterfly délestée d’un millier de mesures. Un triomphe qui parcourra le monde. À New York, il tient six semaines au Metropolitan Opera. Mais durant la Seconde Guerre mondiale, après Pearl Harbor, l’œuvre est boycottée. Car on juge peu flatteuse l’image américaine qu’elle reflète. 

Pour cause ! Madama Butterfly, ou l’histoire de Cio-Cio-San (Corinne Winters) délicate et si jeune geisha de 15 ans que l’on découvre au moment de s’unir au Lieutenant de la marine américaine Pinkerton (Antonio Corianó), venu l’épouser après avoir été « rabattue » par Goro l’entremetteur (Josep Fadó) pour 100 yens et le bail d’une maison (999 ans !). Et un contrat de mariage… provisoire. Le ton est donné, une belle affaire pour Pinkerton, joli marché de dupe pour Cio-Cio-San appelée Madama Butterfly par son époux, non sans ironie : Cio– signifie papillon en japonais, San signe de respect. Le Consul américain Sharpless (Angel Odena), ému, invite Pinkerton à ménager la geisha amoureuse. « Ce serait grand péché que de lui arracher les ailes et de désespérer peut-être son cœur confiant. » 

Daniel Benoin, directeur d’Anthéa et metteur en scène de ce Madama Butterfly, l’a bien compris : « Dans Madama Butterfly, pas de maladie ou d’excès de pouvoir, mais un vrai conflit de cultures, un choc de civilisations. Que l’envahissement américain soit celui de la fin du XIXe siècle, époque à laquelle Puccini situe son opéra, ou quand le conflit devient terrifiant (1941-1945), l’histoire est la même : un officier américain vainqueur face à une jeune japonaise fascinée par l’homme, sa prestance, sa victoire et prête à tout sacrifier à son amour interdit. J’ai préféré choisir le Nagasaki d’août 45, après la bombe A, à celui d’après les coups de canon du Cuirassé Abraham Lincoln. Les tensions sont plus fortes, le drame plus extrême, le folklore moins présent. » 

La famille est là. Scandale quand Cio-Cio-San dit qu’elle prend la religion de son mari. Le vieil oncle la renie. Nuit de noces, et déjà repart le gentil mari. Trois ans à scruter la mer, espérer son retour en élevant leur enfant. Bateau à l’horizon. Joie de Butterfly. Pinkerton apprend qu’il est père. À son bras, Kate, l’épouse américaine (Valentine Lemercier) pour élever l’enfant en Occident. Elle part seule, le mari a honte de revoir l’ex-geisha, qui comprend alors et se résigne pour son fils. Pour qu’il ne soit pas rejeté ou traité de konketsuji (enfant de race mixte), une insulte au Japon, ou harô-no-ko (child of hello). Elle confie son fils, et se tue avec le couteau de son père. Retour à l’Orient et à la tradition des ancêtres par le rite du suicide – le seppuku. Comme son père, avant elle. Sur la lame : « Que meure avec honneur celui qui ne peut vivre dans l’honneur.« 

6 au 12 mars, Opéra de Nice. Rens: opera-nice.org • 15 & 16 mars, Anthéa, Antibes. Rens: anthea-antibes.fr

photo : Madama Butterfly © Dominique Jaussein