« C’est un monde que, maintenant, j’aurais du mal à quitter »

« C’est un monde que, maintenant, j’aurais du mal à quitter »

Savanna Samokine dirige les trois cinémas Pathé Nice depuis 2021. Un gros challenge l’attendait, le cinéma en France subissant le contrecoup du Covid. Trois ans plus tard, les trois établissements enregistrent une belle « remontada », et, pied de nez à la crise des scénaristes US, investissent en 2024 dans une salle Imax à Lingostière. Nous avons échangé avec ce passionné au parcours atypique, qui a privilégié l’humain au cœur de sa gestion et traite le cinéma comme lieu de spectacle vivant, c’est-à-dire un lieu de partage.

De McDo à Pathé

Son arrivée à Nice a sensiblement modifié l’offre Pathé dans la cité azuréenne. Et pourtant ce secteur n’était pas celui vers lequel il se destinait au départ : des études en psychologie, durant lesquelles il travaille chez McDonald’s et où il rencontre celui qui deviendra son père spirituel, un franchisé américain qui sent un vrai potentiel chez cette recrue d’à peine 18 ans. « Je suis monté super vite, responsable, puis directeur de restaurant, tout ça, super jeune. Je voulais arrêter mes études, mais il a eu cette gentillesse de m’accompagner en me conseillant de continuer mes études tout en travaillant avec lui. » Ce sera un IUT gestion des entreprises. En 1999, alors directeur de plusieurs restaurants à Grenoble, il a envie de passer à autre chose. Cabinet de recrutement, chasseurs de têtes, il opte pour la direction d’un centre de profit. C’était la première année où Gaumont faisait appel à des personnes venant de l’extérieur. Et bingo !

 « Ça a été une découverte. J’arrivais dans le monde du cinéma avec ma vision de chez McDo. Que l’on aime ou pas, cela a été pour moi une très belle école. » Il démarre à Gaumont-Disney en décembre 99, avec le directeur de l’époque, François Clerc, qui le forme à l’esprit de la maison. « Je n’étais pas du tout du sérail, j’allais au cinéma comme tout le monde pour les grosses sorties, les blockbusters. J’ai commencé à rencontrer des équipes de films, à voir l’envers du décor, comment ça se passait, la distribution, la technique, découvrir de plus en plus de films aussi. Petit à petit, ça m’a fait aimer le cinéma, parce que j’ai rencontré des gens géniaux, et des supers équipes. » Après un parcours dans de nombreux complexes en France, c’est la nomination à Nice en septembre 2021.

L’après-Covid

Au sortir de la crise du Covid, les cinémas sont exsangues, dans une démarche de reconquête du public. Le groupe Pathé mise sur une montée en gamme en termes d’espaces, de technologie et une programmation diversifiée. Savanna Samokine arrive à Nice à ce moment-là. Il faut trouver un équilibre entre les trois cinémas niçois, donner à chacun une couleur de programmation appropriée, car la concurrence est rude à Nice. En 2022 arrive un nouveau directeur d’exploitation, Sébastien Boujioux, qui propose une orientation tranchée dans le centre-ville. « Il avait déjà la mesure des films pointus à Evreux. Il a donc simplement essayé de retranscrire ses méthodes à Nice avec un cinéma qui s’y prêtait bien, le Pathé Masséna« . L’idée étant de prétendre plus tard au label Art & Essai. La Gare du Sud privilégiant les VO et les blockbusters, tandis que d’autres films populaires, mais en VF, sont programmés à Lingostière.

Quid de l’année 2024 ? « On sait qu’elle ne sera pas aussi belle que 2023 (grâce à Barbie et Oppenheimer). Pas parce que les gens ne vont pas au cinéma, mais l’offre cinéma est moins forte que prévue, la grève des scénaristes et des acteurs américains en octobre de l’année dernière a fait repousser certaines sorties de films à la fin de l’année, voire en 2025. » Mais Pathé a sorti sa carte premium : la nouvelle salle IMAX à Pathé Lingostière, avec projecteur laser nouvelle génération, écran géant et son immersifs, « la référence absolue » pour le réalisateur Christopher Nolan. Un succès immédiat, qui devrait permettre de faire face à une année 2024 plus faible en sorties. 

La « patte » Savanna

S’il sait très bien que les cinémas Pathé sont des « centres de profit, c’est comme cela qu’on les définit« , il déclare pouvoir « faire les choses autrement, avec du cœur. Est-ce mes origines cambodgiennes où il y a beaucoup de solidarité entre les gens ? Ou alors ces années McDo où quelqu’un m’a aidé à grandir ? » À son actif, et avec ses équipes, ont été lancées de nombreux partenariats dans la ville : des séances citoyennes où l’on débat à partir d’un film sur des sujets de société, la No Finish Line qui permet de financer des projets pour enfants handicapés, la mise à disposition d’une salle pour projeter un documentaire réalisé par des étudiants en immersion dans le service polyhandicapé enfants à Lenval (l’intégralité de la billetterie a d’ailleurs été reversée à l’hôpital), ou le soutien à une association ukrainienne avec la projection du documentaire 20 jours à Mariopol, qui fut suivie d’échanges avec le public. Des moments importants, humains. « Les cinémas sont un superbe outil de communication et de diffusion. On est un média, il faut qu’on ait le même élan de cœur, qu’on puisse s’associer et nous aussi apporter notre soutien… Et se remettre en question sans arrêt.« 

En fin de compte, la dynamique engagée motive tout le monde : public, pros, et employés. De plus en plus d’équipes de films viennent sur place, des soirées thématiques sont programmées, de même qu’un ciné-club. « Tout le monde est partant parce que ça dynamise aussi leur cinéma« . Les salles obscures évoluent, une bonne nouvelle pour le public en cette période où les gens aspirent à se retrouver et partager ensemble les mêmes émotions.

Rens: programmation des cinémas Pathé Nice sur pathe.fr

photo : Savanna Samokine © DR