Notre futur a fondu dans le présent

Notre futur a fondu dans le présent

À la Maison Abandonnée [Villa Caméline], Hélène Fincker propose une exposition à double lieu, double temps. D’abord à Nice, puis au Québec, puisqu’elle a œuvré avec Jasmine Colizza, de la Salle Alfred-Pellan (SAP) de la Maison des arts de Laval-Québec, en invitant quatre artistes français et quatre artistes québécois autour d’un sujet à projections multiples : L’éternité, si possible.

Dans le titre de cette coproduction franco-québécoise réside l’essence même du propos : alors que nous avons entamé une nouvelle ère, dite anthropocène où l’activité humaine engendre des destructions biologiques massives et des guerres nouvelles entraînant une grave détérioration de nos conditions de vie, quelles sont les projections encore possibles ? La situation est grave, mais « si possible », pas désespérée !

Le travail des artistes invités peut se lire sur un axe temporel : avant, pendant et après le désastre. Notre nature humaine étant d’une résilience hors pair – cette capacité ne nous sauvera cependant pas –, les constats et hypothèses des créateurs invités dessinent une dramaturgie de l’instant, poétisent le chaos et projettent un monde futur apocalyptique où la figure humaine n’apparaît pas, ou alors de façon transfigurée. « Il est encore 90 secondes avant minuit« , annonce le Conseil pour la science et la sécurité du Bulletin of the Atomic Scientists. Sur leur site thebulletin.org, que je conseille  »vivement » de parcourir, les thèmes des risques nucléaires, changement climatique, sécurité biologique et technologies disruptives sont épluchés par des scientifiques et nous voilà rendus à 1 millimètre du gouffre.

Nous sommes là avant la chute. L’écrivaine et poétesse Sophie Braganti suggère, avec la vidéo Va et viens ! le rythme d’une pendule traduit par le mouvement d’une balançoire d’enfant, et parvient à créer une irrépressible tension. La catastrophe est imminente : par sa série de Fugue en ruine majeure, le cinéaste et documentariste Martin Bureau choisit la peinture, figée et immuable, pour représenter des vues apocalyptiques d’effondrement qu’il met en parallèle d’images actuelles de destructions d’édifices. Le temps semble s’arrêter ou entrer en dysfonctionnement dans l’installation à forte gravité – physique et philosophique – de Tom Barbagli : pierres massives et extraits de roche suspendus témoignent des couches sédimentaires de nos époques terrestres et plombent un mécanisme fragile. 

Nous avons basculé dans le futur. Avec le duo Pierre&Marie, des fleurs déposées, comme jetées là, éclatent de couleurs vives mais ont un cœur d’aluminium, tandis qu’une bougie à la flamme vive ne brûle qu’en néon. Le règne animal est littéralement barré d’une ligne d’horizon incandescente dans un fusain d’Églé Vismanté et ses architectures en chute ou noircies se mêlent à des ciels qu’on dirait fondre. Les archives du futur à la géographie instable d’Aurélien Mauplot se détachent en territoires figurés à la feuille d’or où les points cardinaux sont déplacés. Désormais, la Russie a avancé d’un quart d’heure. Mathieu Latulippe occupe son habitat de survie, JunGolf Monoplex, un container estampillé d’un logo digne de publicités d’agence immobilière. À l’intérieur, chaque objet a priori anodin qu’il abrite œuvre comme un clin d’œil. Dans des paysages désertiques, l’humain apparaît pourtant encore, mais il semble être fait de feu, sous le geste de Chloé Beaulac dont les œuvres sont des narrations qui chevauchent le temps.

Inspirés des récits et films de science-fiction, nous autres humains sommes emplis d’imaginaires futuristes, ce que le directeur du laboratoire de recherche sur les mutations de l’Europe et de ses sociétés (Université Nice Côte d’Azur), Yannick Rumpala, abordera avec les huit artistes invités, le lendemain du vernissage.

7 juin au 13 jui, Maison Abandonnée [Villa Caméline], Nice • Vernissage, 7 juin 18h • Table-ronde avec Yannick Rumpala, 8 juin 16h. Rens: villacameline.fr

photo : Martin Bureau, Fugue en ruine majeure 1, aquarelle sur papier, arches sur bois, 183×305 cm, 2024