23 Mai Première nomination, premier Molière !
La comédienne niçoise Eva Rami vient d’être sacrée dans la catégorie meilleur seule en scène, pour Va aimer !, troisième volet d’une autofiction entamée en 2014. Et pourtant la concurrence était rude, avec Ludivine Sagnier, Dominique Blanc et Franck Desmedt. Voici ce que nous écrivions en janvier dernier, alors qu’elle proposait ses trois spectacles, en trois soirs, au Théâtre National de Nice.
Eva Rami foule les planches des théâtres à Paris et revient régulièrement à Nice, par filiation, espèce d’espèce de niçoise, qu’elle est. Vole !, T’es toi ! et Va aimer ! dessinent un triptyque aux titres injonctifs, un tiercé de vie humaine. Trois pièces écrites au fil des ans, sans qu’il n’y ait à renier le moindre chapitre, puisque nos vies sont ainsi faites, sans regrets. En soi, et dans le fond, c’est un exemple d’humilité et de courage. Reste la forme, le plus beau.
En 2014, Eva Rami écrit sa première pièce : Vole ! Elle y raconte, avec force de personnages qui semblent surgir d’elle-même, son passage de l’adolescence, à l’âge adulte. Là, chaque sentiment est un ouvrage, travaillé, remis et couturé, amené avec distance et cynisme, humour et poésie, rupture et décollage. Sa mère est italienne, psychiatre, son père est niçois, d’un franc parler tantôt chaleureux, tantôt expéditif. On sent bien qu’elle exagère quand elle les « joue », mais ce biais est un écrin naturel qui lui permet de raconter les liens familiaux où tout est grave, tout déborde et s’emporte, ces liens qui enferment, pèsent et empêchent, et qui parfois autorisent. Il n’en demeure pas moins que l’emprise est là et qu’il s’agit de se libérer. Une affaire on ne peut plus universelle.
Quatre ans plus tard, la révélation, le face-à-soi, la mise en œuvre : T’es toi ! Eva Rami déroule le même personnage, Elsa Ravi, son double, partie à Paris pour devenir comédienne. Toujours entourée des siens, la comédienne godille de personnage en personnage, auxquels se joignent ses professeurs d’art dramatique, brossés par une palette de caricatures à mourir de rire. Dans ce vrai-faux récit, elle distille de son jeu vif et brillant des sentiments et des situations auxquels personne n’échappe au cours d’une existence : comment trouver sa place, s’imposer, assumer ses choix ? À traits grossis, elle campe en deux secondes des personnages d’une cohérence inouïe et glisse là sa finesse d’analyse des rapports humains. Nous voilà à nouveau happés par son récit, slalomant entre rire et empathie, tendresse et identification.
Enfin, la libération, ou du moins le désir de liberté, avec Va aimer ! Le propos est plus introspectif, plus grave aussi, et tout entièrement joué d’un regard de femme. C’est « un incessant face-à-face avec l’autre et surtout avec moi-même« , commente Eva Rami à propos de cette pièce qu’elle a créée en 2023. « Sans lien, pas de liberté« , mais quand le lien se fait dominant, voire violent, quelques nuances et mises en garde sont à poser, ce qu’elle fait avec franchise et comique mêlés. « Tout est vrai et des choses qui me sont arrivées sont redistribuées dans certains personnages et des choses que j’ai pu entendre sont incarnées par le personnage d’Elsa Ravi, mon avatar. Bien sûr, ce troisième volet existe aussi parce que je n’avais pas tout dit. » Alors, va, Eva, vole plus loin !
Rens: evarami.fr
photo : va Rami © Valentin Perrin