27 Juin Miquel Barceló, l’océan pour horizon
À la Villa Paloma, le Nouveau Musée National de Monaco propose de voir (ou revoir) une soixantaine d’œuvres de la foisonnante production de Miquel Barceló, artiste espagnol né en 1957 qui place la mer au cœur de son travail.
Il faut imaginer la terre comme une île battue par les tempêtes de l’univers. Et pour en restituer l’image, en extraire la matérialité avec ses vagues d’aspérités ou de fluidité, Miquel Barceló – parce que peintre – est aussi cet explorateur du vivant et un voyageur ancré dans son île de Majorque, mais toujours en mouvement, au Mali, à Paris ou ailleurs. Cette énergie, cet appétit à savourer la vie, à plonger dans l’océan comme dans la peinture, traversent cette exposition qui se présente littéralement comme une mise en scène où toiles, céramiques et documents se conjuguent pour un hymne aux forces primitives que l’art restitue.
Né en 1957, Barceló peint depuis cinq décennies. « La mer, la mer, toujours recommencée !« , écrivait Paul Valéry. En peinture aussi, elle ne cesse de déferler sur notre présent. Il aura fallu attendre Courbet et sa série de vagues tumultueuses, resserrées dans leurs cadres, pour que la mer ne soit plus seulement un décor, mais qu’elle coïncide avec la puissance intrinsèque de la nature. Miquel Barceló, à l’océan, sa flore et la faune, y rajoute le magma de la peinture. Il en glorifie les pigments, ses formes organiques et toujours cette profondeur qui relie l’eau aux autres éléments quand le ciel se mêle aux couleurs des fonds sous-marins. Ainsi le bleu incandescent explose-t-il parmi des ocres terreux et les stries rouges des poissons rayent l’espace saisi dans l’effervescence de la matière. Grottes et stalactites nocturnes répondent à la transparence solaire des océans.
Le peintre hérite de toute cette histoire de l’art brut ou informel et de l’expressionnisme abstrait, mais il lui faut toujours revenir aux sources, à l’art pariétal, aux arts premiers, à l’Antiquité… Toujours cette volonté d’interpréter le vivant, de prélever l’origine du monde dans les mouvements telluriques, les abysses et la force des éléments. Les toiles sont grandioses, mais pourtant tout se terre dans l’humilité de l’artisanat quand Barceló exécute avec sa mère des broderies ou reprend les techniques traditionnelles de la céramique. À cet effet, plusieurs pièces, parfois à la limite de l’abstraction ou, au contraire, dans une figuration exacerbée, traduisent la liberté d’une œuvre toujours en mouvement et qui ne répugne jamais à la démesure.
Peindre c’est plonger, dit-il. Et en effet, il extrait des profondeurs océanes l’essence même de la vie et l’existence du réel. Car la mer c’est aussi l’activité humaine, la pêche, la nourriture et ce corps à corps que l’artiste illustre dans ses carnets. L’exposition présente ces documents comme des prélèvements de pensées et d’images en gestation et toujours dans un processus de transformation. Non sans humour, il joue avec la tradition des Bodegones, ces natures mortes baroques et liées à l’alimentation. Ainsi passe-t-il sans transition du trivial vers une réflexion plus inquiète sur notre monde. Seul un grand artiste peut toujours de la sorte tout se permettre.
PASOLINI, LA PASSION DU CLAIR-OBSCUR
À quelques encablures, à la Villa Sauber, le Nouveau Musée National de Monaco rend également hommage à l’écrivain, réalisateur et intellectuel italien controversé Pier Paolo Pasolini, en se focalisant sur l’influence que la peinture classique et contemporaine a eue sur son cinéma (voir article La Strada n°364). D’ailleurs ce terme de clair-obscur figurant dans le titre de l’exposition renvoi autant à la peinture caravagesque qu’au noir et blanc de son film Accattone. Le parcours des salles est ponctué de pièces aux natures différentes : extraits de films, peinture, dessins, installations, photographies… Quant à l’épilogue de l’exposition, elle offre une ouverture sur les contemporains de Pasolini, dévoilée par les œuvres d’une trentaine d’artistes internationaux qui ont tenu à lui rendre hommage, parmi lesquels Clara Cornu, Claire Fontaine, Astrid Klein, ou encore Ernest Pignon-Ernest…
Miquel Barceló, océanographe, Villa Paloma – Nouveau Musée National de Monaco, jusqu’au 1 oct • Pasolini en clair-obscur, Villa Sauber – Nouveau Musée National de Monaco, jusqu’au 29 sep. Rens: nmnm.mc
photo : Miquel Barceló, Oblada, 2015, Technique mixte sur toile, 28x36cm, Collection de l’artiste © Miquel Barceló / ADAGP, Paris, 2024 Photo : André Morin