Pourquoi m’as-tu abandonnée ?

Pourquoi m’as-tu abandonnée ?

En prélude aux photographies de Bettina Rheims, présentée à Nice au Musée de la photographie Charles Nègre, jusqu’au 29 septembre, cette seule question: Pourquoi m’as-tu abandonnée ?

Une question qui restera sans réponse, à moins que ces images ne traduisent ces instants semés de rencontres lors desquelles seule une perte ou l’essence d’un mystère subsisteront. Énoncer celui-ci, parce qu’il est de l’ordre de l’indicible et de l’invisible, c’est alors recourir à l’artifice d’une fiction et, dans ses photographies, Bettina Rheims en revendique tous les dispositifs. Esthétique de l’accroche publicitaire, mise en scène maniériste, éclairages savamment étudiés et poses exacerbées, tout contribue à l’immédiateté d’un choc visuel.

Bettina Rheims peint et dépeint les femmes comme autant d’énigmes que chaque cliché recouvre. Dans ce récit immobile, chacune se livre au gré d’un fantasme, d’une cérémonie ou d’une mythologie et, dans le studio dans lequel les corps et les visages se confient, une mise en scène implacable les saisit dans un questionnement muet au seuil du vertige qui les menace. Cette dramaturgie au cœur de l’intimité bouleverse l’apparence outrancière de l’artifice d’où surgit, pour chacune de ces femmes, illustres ou inconnues, une vérité qui se formule derrière le masque du maquillage. Corps cambrés déchirant l’espace ou bien s’y abandonnant, yeux révulsés ou rêveurs, bouches boudeuses ou gourmandes, tout se confond dans la violence du rouge à lèvres quand le sourire correspond à une plaie et que l’image n’est que le miroir des blessures et des désirs.

Bettina Rheims excelle à dévoiler ces artifices dans lesquels les êtres s’abandonnent, s’écrivent, ou se déchirent. À fleur de peau, le grain de la photographie transforme ces femmes en icônes et les célèbre au cœur d’une histoire dont il nous revient d’élucider la trame. Derrière la perfection des corps, on devine le parfum trouble des fleurs à l’instant où, dans leur pleine éclosion, elles se fanent. Dans une photographie, une femme infuse dans une baignoire décatie, pleine de pétales. Et le rouge de l’eau la noie dans le sang. Si ces images sont envoûtantes, parfois dangereuses à l’instar de la beauté, c’est parce que ces modèles se transforment en héroïnes et que la photographe les saisit dans un dialogue avec elle-même pour une confidence dont le murmure traverse le voile de l’image.

Toutes ces œuvres sont issues de commandes pour des magazines ou d’autres supports publicitaires et pourtant, Bettina Rheims parvient à réaliser une vaste fresque dans laquelle elle sculpte les femmes en pleine lumière mais toujours dans l’incertitude de ce rouge intense et de la nuit qui les guette. Tour à tour puissantes et délicates, ces photographies, par leur engagement et ce regard aussi tendre que foudroyant d’une femme sur la femme, nous conduisent sur des perspectives inédites à travers les tours et détours du réel et de l’imaginaire.

Jusqu’au 29 sep, Musée de la photographie Charles Nègre, Nice. Rens: museephotographie.nice.fr

photo : Gina and Elizabeth kissing, mars 1995, Los Angeles © Bettina Rheims, courtesy Fonds de Dotation de l’Institut pour la Photographie, Adagp, Paris, 2024