Turner, king of light

Turner, king of light

Au cœur de l’été, le Grimaldi Forum de Monaco présentera Turner, le sublime héritage, en collaboration avec la Tate Gallery. À découvrir du 6 juillet au 1er septembre.

Cette exposition est une première et l’occasion unique de découvrir une sélection de quelque 80 toiles et œuvres sur papier du peintre anglais Joseph Mallord William Turner (1775-1851) réparties selon une scénographie couvrant plus de 2000 m2… D’ailleurs, il n’y a actuellement qu’un seul tableau exposé en France, au Louvre : Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain’’ (vers 1845), une huile magistralement inachevée ! Turner, le sublime héritage est aussi l’occasion aussi de vérifier combien par ses expérimentations sur la lumière et l’atmosphère, l’approche novatrice du paysage par l’artiste rejaillit encore sur la création du XXIe siècle. En vis-à-vis, une quinzaine d’œuvres contemporaines retenues par Elizabeth Brooke, chargée de mission à la Tate, seront confrontées à celles de Turner ouvrant un dialogue sur la question du « rapport de l’homme à la nature« . 

Pour coller au plus près de ses sensations, Turner s’engloutissait littéralement dans le paysage qu’il traitait, au point de sortir la tête par la fenêtre d’un train lancé à pleine vitesse afin de capter la force de l’air. Les artistes qui lui succèdent continuent de marcher dans ses pas en soulevant la vibrante question du sublime en art et ce qu’ils ressentent, placés face à un paysage. Obscurité, lumière, couleur, espace, atmosphère… éternelle recherche qui déjà mobilisait Turner. Bref aperçu à travers trois artistes contemporains. L’américain James Turell, avec Reamer, Blue (1969) qui nous avale dans un espace de lumière d’un bleu électrique, délimité par un rectangle de néon et fait plonger la rétine dans l’inconnu. Ou la jeune Écossaise Katie Paterson dont l’installation Totality (2016) interroge le phénomène de l’éclipse solaire avec une boule noire à facettes qui pend du plafond sur laquelle sont imprimées les photographies de presque toutes les éclipses solaires documentées à ce jour. Tournant sur elle-même, elle projette des milliers d’images dans la pièce en myriade de points lumineux dispersés dans le cosmos. Turner s’y était aussi intéressé. Voir son carnet de dessins Eclipse Sketchbook (1804).

À la fin de sa vie, l’art de Turner vire à une étude expérimentale radicale, de plus en plus évanescente, tentant de rendre les palpitations de la nature. Un art qui absorbe la personne qui le contemple pour l’élever au-dessus du matériel, vers un ailleurs illimité, informel. Mer, tempêtes, ciel, nuages, brouillard, pluie, montagnes…  Des nappes de couleurs floues qui se mélangent et se superposent comme pour mieux s’effacer. Vision fugace d’une réalité immédiate, aussitôt éteinte. Percer le mystère de la lumière. Enfin, pour l’américain Mark Rothko, auteur du tableau Sans Titre (1969, peinture acrylique sur papier), « la progression du travail d’un peintre… ira vers la clarté : vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre, l’idée et l’observateur« . Surprenante connivence avec Turner et son huile sur toile Trois Marines (vers 1827). 

Artiste européen le plus prolifique de ses contemporains, Turner, qui débuta en s’appliquant à de sages paysages, devint un dynamiteur méthodique des codes académiques de la peinture et déclencheur d’un profond renversement dans la compréhension de la beauté à l’entrée du XXIe siècle. Taciturne et rugueux, son ami John Ruskin le décrira « généralement aussi silencieux qu’un bloc de granit pour ce qui est des mouvements de son âme« . Compétiteur lucide vis-à-vis des anciens, dont Claude Gelée dit Le Lorrain qu’il révérait, féroce envers ses pairs. Se mesurer à eux, les surpasser, tous. William Turner, né à Londres, fils d’un barbier-perruquier, et désigné maître de l’aquarelle, y est parvenu en élevant le paysage au rang d’art majeur, sans jamais perdre son accent cockney.

6 juil au 6 sep, Grimaldi Forum, Monaco. Rens: grimaldiforum.com

photo : Joseph Mallord William Turner, Grenoble vue de la rivière Drac, avec le mont Blanc au loin, vers 1802 Huile sur toile, Tate © Tate