01 Oct Ensemble baroque de Nice, l’amour du bel ouvrage
Bon pied, bon œil… ou plutôt bonne main, bonne oreille. L’Ensemble Baroque Nice (EBN), créé en 1982, dévoilait mi-septembre le programme de sa saison 2025-2025, sur le thème Les outils des maîtres.
Son directeur Gilbert Bezzina, lui-même violoniste, a souhaité mettre son ensemble à l’honneur par un programme de 8 concerts, à travers 6 instruments (violon, cornet à bouquin, violoncelle, flûte, traverso, viole de gambe, hautbois) façonnés par des hommes ayant hissé leur maîtrise artisanale au rang d’artiste, et utilisés pour jouer cette musique qui nargue le temps et les modes. Noble liste qu’il convient de compléter avec la voix, instrument à part entière, à la fois à cordes et à vent, et que chanteuse et chanteur travaillent et perfectionnent jour après jour. « Hâtez-vous lentement et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » !
Bientôt 43 ans que l’EBN voit arriver d’une génération l’autre, de jeunes mélomanes initiés par leurs parents au riche monde de la musique baroque. Baroque vient du portugais barocco, c’est-à-dire « perle irrégulière », et Jean-Jacques Rousseau définissait cette musique « comme celle dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances » (1776). En dépit de cette définition péjorative, la période baroque a permis d’instaurer la musique instrumentale comme moyen d’expression musicale majeur et de célébrer les musiciens, les compositeurs, leurs interprètes, toutes et tous, des « ouvriers qui travaillent avec grand art ». Vers 1600, les compositeurs aspirent à une musique qui épouse le texte et la poésie et tentent de traduire les passions humaines, des plus douces aux plus violentes. En 1617, Descartes rédige Compendium Musicae, un abrégé de théorie musicale où les consonances ne font sens que par leur portée mathématique, et, en pur théoricien à sang-froid, conclut : « Il nous reste encore à démontrer comment les progressions de consonances peuvent engendrer les émotions. » Pour notre philosophe, la musique s’expliquait par un simple phénomène physique vide de toute transcendance.
Heureusement, dès le 18 octobre, pour ouvrir sa saison 2024-2025, l’EBN se chargera une fois encore d’en faire la vibrante contre-démonstration avec les Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi, classique d’entre les classiques baroques apparu à Venise dans les années 1720, et interprété par Gilbert Bezzina au violon : « Les coups de son archet, parfois si ravissants que l’on n’a point de plus grand mécontentement que d’en entendre la fin, (…) contraignent les auditeurs de confesser que le violon est le roi des instruments« , écrivait en 1636 Marin Mersenne… ami de Descartes. Et le violon règne toujours. Philippe Cantor reviendra le temps d’un dernier concert, avant de tirer sa révérence, offrir une lecture des textes de la cantate Les quatre saisons de Joseph Bodin de Boismortier.
Le 15 novembre, place au cornet à bouquin, objet rare entre le bois et le cuivre qui évoque des cornes animales percées de trous. Mersenne encore, décrit cet instrument et l’effet qu’il produit « semblable à l’éclat d’un rayon de soleil, qui paroist dans l’ombre ou les ténèbres« . Jean-Pierre Canihac, professeur au département de musique ancienne de Lyon, avant de se retirer lui aussi, en jouera une dernière fois, sur les sonates de Castello et Corelli. Concert de fin d’année le 13 décembre avec le ténor Vincent Bouchot qui, lui, jouera de sa voix pour l’offrir aux cantates célestes de Bach, Charpentier, Corette et Torelli.
Le violoncelle aura son mot à dire le 17 janvier 2025, lors d’une soirée consacrée à des concertos de Vivaldi qu’interprèteront Frédéric Audibert et Daniele Bovo. Le traverso (ancêtre de la flûte traversière) et la flûte entreront par la grande porte, le 28 février, sur des concertos de Telemann et Bach, illustrés par Zuzanna Dubiszewska et Michel Quagliozzi. Actrice baroque incontournable, l’élégante viole de gambe – parce qu’elle se joue entre les jambes – sera tirée de sa torpeur hivernale par Sylvie Moquet, et fera une printanière apparition le 21 mars sur des sonates de Couperin, Purcell, et Buxtehude. Grâce au puissant et chaleureux hautbois, le concert du 25 avril battra son plein, délivré par Christophe Mazeaud qui fera résonner des concertos de Carl Philipp Emanuel Bach, digne fils de qui vous savez.
Clôture le 23 mai, chargée en émotion et larmes d’une princesse-magicienne abandonnée, pour refermer la marche en compagnie de Haendel servi par la soprano Heather Newhouse, qui livrera la célèbre cantate Armida abbandonata écrite pour le marquis Ruspoli, son mécène.
Enfin, pour les mélomanes cinéphiles, il est important de signaler que chacun de ces concerts sera mis en corrélation avec la projection d’un film spécifique choisi avec le plus grand soin : Le Violon rouge de François Girard, MySweet Pepper Land de Hiner Saleem, Ténor de Claude Zidi Jr, Ennio de Giueppe Tornatore, Le Soliste de Joe Whright, Les Contes d’Hoffmann de Michael Powell, Le Salon de Musique de Satyajit Ray (attention, chef-d’œuvre !), Maria by Callas de Tom Wolf. À Nice, au cinéma Belmondo, les mercredis et jeudis précédant les concerts.
Dès le 18 oct, églises Saint-François-de-Paule & Saint-Martin – Saint-Augustin, Nice. Rens: ensemblebaroquedenice.com
photo : Ensemble Baroque de Nice © DR