30 Oct La mort aux trousses
Aurélien Bory, metteur en scène, scénographe et directeur de la Cie 111, est de passage au Carré Sainte-Maxime pour y présenter sa dernière création, Invisibili.
Aurélien Bory a créé ce spectacle, mêlant danse, musique et arts visuels, lors d’une résidence au Théâtre Biondo à Palerme où, en 1989, la célèbre chorégraphe allemande Pina Baush avait séjourné durant 3 semaines pour y créer peu de temps avant la chute du Mur de Berlin, Palermo Palermo, puissant ballet que garde en mémoire toute personne férue de danse contemporaine. Lui aussi « touché » par l’impact émotionnel de ce spectacle, Aurélien Bory raconte : « À Palerme, il y a de nombreuses traces laissées par l’histoire, mais celle qui m’a le plus intéressé c’est la trace laissée par les artistes. Notamment le tableau L’Annunciata (1474- 1477) d’Antonello Messina dont la modernité vient du fait qu’on ne voit pas l’ange Gabriel, resté hors champ… Ce qui ne se voit pas, alors il faut l’imaginer. Ce rapport à l’invisible m’a beaucoup intéressé parce qu’au théâtre finalement, on fait la même chose. On a créé le théâtre grec en dressant une tenture pour cacher les interprètes qui allaient venir devant cette tenture pour jouer… C’est le rideau de scène. Alors je me suis dit : quel serait notre rideau de scène pour Invisibili ? J’ai pensé à cette énorme fresque de 6m par 6m, Le Triomphe de la mort (XVIIe), d’un auteur inconnu. J’ai eu l’idée que ça pourrait être notre rideau de scène sur lequel serait imprimé Le Triomphe de la mort et une façon de manipuler avec des fils, comme une marionnette géante, les entrées et les sorties« .
Ce rideau-fresque, reproduit à l’identique et « acteur » central du spectacle, représente un squelette qui chevauche une haridelle symbole de l’intraitable attelage de la mort en action fauchant à l’aveugle tout être sur son passage. Sans distinction d’âge ou de condition sociale. Puissant ou miséreux. Le rideau vivant change de couleur et palpite en fonction de l’éclairage qu’il absorbe et des personnages surgis des plis de l’ample tenture qui s’en drapent, s’y lovent, ou s’y engloutissent au son du saxo cuivré de Gianni Gebbia. Au XXIe siècle, la mort insulte la science. Elle est refoulée. Le corps n’est qu’une machine à réparer comme cette femme (Valeria Zampardi) atteinte d’un cancer du sein, que l’on palpe mécaniquement. Tandis qu’un migrant, arrivé à 15 ans du Nigéria, brandit son dérisoire canoé en plastique, trophée d’un rescapé promis au naufrage. Fixé à Palerme depuis, Chris Obehi apprend l’italien et la guitare. Revivant sa propre histoire sur scène, le jeune homme s’empare de la chanson de Leonard Cohen, Hallelujah, et la fait sienne en la jouant à l’harmonium tandis que sa voix imprègne le public. La mort tire à balles réelles, soit, mais la vie ne désarme pas.
23 nov, Carré Sainte-Maxime. Rens: carre-sainte-maxime.fr
photo : Invisibili, Cie 111 2023 © Rosellina. Il Trionfo della Morte / Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis, Palerme, © S. Chipeaux-Dardé