30 Oct L’énigme Vivian Maier
Gouvernante, photographe autodidacte ayant traversé le milieu du XXe siècle dans l’anonymat, le Musée de la photographie Charles propose une Anthology du travail de Vivian Maier : 140 photographies et vidéos de cette passionnée de l’image, qui inventa un langage à la croisée de la photographie humaniste et de la streetphotography.
Il existe une énigme Vivian Maier, par sa vie, son œuvre, mais aussi par l’engouement que celle-ci suscita lorsqu’en 2011, on l’exposa pour la première fois à Chicago, deux ans après sa disparition. Celle qui travailla comme gouvernante d’enfants à partir des années 50 ne pratiqua la photographie que pour elle-même, et seul le hasard permit de découvrir 120 000 négatifs, quelque 300 films et quantité de pellicules non développées.
De l’anonymat au mythe, il y a donc ce mystère pour une œuvre qui elle seule peut nous en délivrer la clé. Toute vie se résume à un récit fait de banalités et d’accidents. Elle s’écrit dans les images et les rencontres du quotidien, et Vivian Maier nous en restitue une vision bouleversante par son extraordinaire simplicité. Elle qui vécut toujours dans l’ombre de la vie de ses employeurs, écrivit en images ce récit des autres auquel elle adhérait, celle des pauvres et des gens ordinaires, ceux dont nous ne rêvons pas la vie, mais qui nous ressemblent. À Chicago ou à New York, elle porta un regard étonné sur le monde, comme étrangère à celui-ci. Ses cadrages relèvent tour à tour d’une frontalité froide ou d’une liberté sidérante. Les sujets surgissent dans un contexte inattendu si bien que chaque image se trouve imprégnée d’un détail incongru qui bouleverse l’ordre normal des choses.
Amputée de toute vie personnelle, son appareil photographique devient pour Vivian Maier une prothèse par laquelle se construit silencieusement une existence par le biais de ce pas de côté dans le monde de l’image. Elle se photographie elle-même, de manière distanciée, comme pour explorer la vie qu’elle s’est refusée et, souvent, seule son ombre résulte de ses autoportraits. Pourtant à la routine des jours, elle superpose la magie de l’invisible. Les images affluent dans un rythme maniaque, les enfants courent les rues et la photographe les capture dans un regard d’entomologiste pour en extraire une vérité douloureuse. Vivian Maier nous restitue l’instantané d’une surprise, d’une découverte du monde, comme si la vraie vie lui avait été interdite et qu’il lui fallait la faire pénétrer dans la pellicule pour en restituer l’essence.
Alors cette fascination que l’on éprouve en parcourant une telle œuvre réside dans ce mystère que nous partageons avec elle. Intuitivement, nous savons que Vivian Maier nous renvoie une image implacable de nous-mêmes, celle dans laquelle on se réfugie pour faire face aux autres, celle du miroir qu’on se construit et dans lequel nous nous égarons, celle de notre solitude au monde et de nos questions sans réponse. Toute œuvre d’art est une énigme, et cela Vivian Maier nous le dit, peut-être de l’autre côté du miroir. Car contempler une photographie, c’est toujours saisir un fragment de vie.
Jusqu’au 16 mars 2025, Musée de la photographie Charles Nègre, Nice. Rens: museephotographie.nice.fr
photo : New York, June 1954 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery