Louis Cane n’est plus

Louis Cane n’est plus

C’est en courant dans le Bois de Boulogne que Louis Cane nous a quittés à 80 ans. Courir, défricher l’espace, égrener les idées et les styles en les laissant disparaître pour les renouveler sans cesse, tel fut ce parcours foisonnant que l’artiste nous lègue dans une œuvre multiple, contradictoire mais grandiose.

En 1966, il quitte l’École Nationale des Arts décoratifs de Nice pour celle de Paris. Puis dans le sillage de 68, il vit l’aventure du Front des Artistes Plasticiens où il s’oppose violemment aux peintres de la Figuration Narrative pour rejoindre Support/Surface et sa volonté de déconstruire la peinture traditionnelle. La revue Peinture Cahiers Théoriques à laquelle il participe avec Devade, Bioules, Dezeuze et des écrivains comme Marcelin Pleynet ou Philippe Sollers, illustre cette volonté de refaire le monde dans un mélange de structuralisme et de délire maoïste. A la fin des années 70, comme Sollers, Louis Cane renie ce carcan idéologique pour une relecture de la peinture au rythme d’une liberté totale en conjuguant humour, parodie, magnificence de la couleur et vivacité du trait pour un hommage aux Maîtres anciens.

C’est ainsi qu’au fil des décennies, en abandonnant l’abstraction, il ne s’agit plus pour lui de nier le sujet mais de revisiter les grands thèmes de la peinture – les fleurs, les crucifixions, les nativités, les Ménines, les nymphéas… Autant de regards portés sur le monde, parfois avec le geste rageur de Picasso conjugué au vertige coloré de Monet. Louis Cane se joue des contradictions, il se glisse dans l’œuvre de Fra Angelico ou d’Uccello avant de réécrire Vélazquez ou Manet. Il est de ces ogres qui dévorent de leur regard un monde toujours à recomposer, avec cet appétit insatiable à vouloir le posséder et à le savourer dans ce présent perpétuel qui l’a désormais quitté.

Cette seule passion de la peinture n’aurait su le combler, il lui fallut aussi s’attaquer à la sculpture, au bois, au mobilier. Souvent les Institutions officielles répugnent à soutenir de tels artistes trop prolixes pour rentrer dans une case, un style ou un discours. Et si l’on glorifia la période Support/Surface, l’on ignora trop souvent la superbe insolence d’une œuvre libre, totalement libre et somptueuse. Qui a suivi l’œuvre d’un tel artiste sait que l’on ne pourra toujours que la redécouvrir, car, en la regardant, on ne peut qu’éprouver cette vie intense, celle qui, à travers les siècles, irrigue les grandes œuvres d’art.

photos : Louis Cane © Michel Lunardelli / Sol-Mur, 1974, Huile sur toile métissée, 277x234x212 cm © Aurélien Mole, courtesy Ceysson & Bénétière