De l’art de nous faire croire

De l’art de nous faire croire

Où se situe la frontière entre spectacle et politique ? L’accès au pouvoir politique reposerait-il seulement sur de bons outils de propagande ? Deux pièces fort à propos abordent une réflexion sur ces thèmes : Le Président à Hyères et L’Art d’avoir toujours raison à Antibes. Le théâtre retrouve ici son rôle premier, lieu de parole, d’exploration et de confrontation des idées.

Soit, le théâtre ne peut pas changer le monde, mais il peut toutefois changer notre perception de celui-ci. Ou du moins, nous amener à y réfléchir. En cette période de montée de l’extrême droite, les auteurs de ces deux œuvres nous interpellent sans démagogie quant à notre capacité à raisonner et sur notre devenir démocratique. Salvateur et troublant.

Pierre Brunet est l’auteur de la pièce Le Président. Ancien journaliste, engagé dans l’humanitaire, aujourd’hui vice-président de Solidarités international, il œuvre toujours sur le terrain, tout en écrivant des romans. La politique est-elle un métier du spectacle questionne-t-il ? Rappelons-nous combien Coluche, vrai candidat aux élections présidentielles en 1981 avait semé le trouble dans l’opinion publique et la classe politique. Ici le Président est un comédien, incarné par Matila Malliarakis, qui se retrouve propulsé du succès théâtral au pouvoir présidentiel, contre toute attente. Son talent d’acteur devient alors une arme précieuse dans l’arène politique. Mais que se passe-t-il lorsque la réalité dépasse la fiction et que son pays est envahi ? La figure de Volodymyr Zelensky ex-star d’une série télé, qui l’a inspiré est bien sûr évidente, mais sans que celui-ci soit cité nommément dans le texte et sans aucune volonté biographique. L’important est ailleurs : comment pouvons-nous dissocier le vrai du faux ? Y a-t-il un metteur en scène dans l’histoire ? Doutes et questionnements nous taraudent à l’aune d’un basculement tragique annoncé en Ukraine, et de l’arrivée aux manettes du pouvoir américain, celle d’une autre ex-star de la télé…

Le Président © Laurence Guenoun

Dans L’Art d’avoir toujours raison, titre emprunté à l’ouvrage du philosophe Schopenhauer, pour qui l’art de la controverse était l’art de la guerre, la Cie Cassandre imagine une conférence redoutablement efficace qui nous explique les techniques d’argumentation et de manipulation du langage pour remporter une élection. Une mise en garde éminemment politique de ses auteurs, Logan de Carvalho et Sébastien Valignat, ce dernier également à la mise en scène : « Aujourd’hui, sur la scène intellectuelle, médiatique (et artistique), plus personne n’évoque la « propagande » comme si celle-ci avait disparu avec la chute du mur de Berlin. Pourtant les spécialistes de ces questions semblent unanimes pour constater qu’au contraire, la manipulation sous toutes ses formes s’est développée de manière massive dans nos sociétés démocratiques« . En jonglant avec les sophismes, les storytellings, en tripatouillant le langage, nous voilà initiés à l’art de la manipulation. Dans le monde réel, nous sommes bel et bien dans l’œil du cyclone. « C’est une contribution théâtrale à la bataille en cours. Il est temps de refuser de céder la moindre virgule, le moindre mot à cette entreprise d’exténuation du langage et d’assèchement des cœurs« . Un acte théâtral politique brillant, servi par des comédiens tout aussi déjantés que géniaux : Adeline Benamara et Sébastien Valignat. Car derrière cette satire à l’humour décapant, se niche un exercice d’utilité publique face aux enjeux démocratiques d’aujourd’hui, et leur alarmante mise en péril.

Le Président, 13 déc, Théâtre Denis, Hyères. Rens: compagniedelecho.fr
L’art d’avoir toujours raison, 18 au 20 déc, Anthéa, Antibes. Rens: anthea-antibes.fr

photo : visuel L’art d’avoir toujours raison © Bertrand Nodet