Mémoire d’un monde englouti

Mémoire d’un monde englouti

À l’occasion de la saison culturelle de la Lituanie en France, La Citadelle de Villefranche-sur-Mer invite Emilija Škarnulytė, pour sa première exposition monographique en France, à prendre possession des lieux en explorant le lien métaphorique entre ciel et mer.

C’est en conclusion d’une résidence dans la Citadelle de Villefranche-sur Mer, débutée en 2023, qu’Emilija Škarnulytė, artiste visuelle et vidéaste née en 1987 à Vilnius, investit l’espace du Bastion de la Turbie pour un parcours à travers ce lieu clos semblable à une grotte. L’œuvre qui en résulte distille une oscillation merveilleuse entre matière et lumière. C’est alors un conte qui se développe à partir de cet environnement de pierres surplombant la Méditerranée au fur et à mesure que l’on pénètre dans les entrailles d’une casemate, sous les auspices de la déesse Thetys, qui donne son nom à l’exposition. Une aventure sensorielle entre mythologie, art et géologie.

Comparant Lascaux à la Grèce antique, Antonin Artaud écrivait : « La Grèce nous donne un sentiment de miracle, mais la lumière qui en émane est celle du jour, la lumière du jour est moins saisissable. Pourtant, dans le temps d’un éclair, elle éblouit davantage. » Ici, l’artiste sculpte la lumière et la fait rejaillir parmi les ombres. Elle se fige dans des entrelacs de verre multicolore disséminés sur le sol pour des dépôts magiques où se mêlent, en discrètes stalagmites, les Larmes de la déesse. Ou bien elle se dépose dans les anfractuosités de la pierre pour en dévoiler les mystères. Emilija Škarnulytė elle-même se pare des attributs de cette déesse, tour à tour sirène ou serpent, comme si l’artiste fusionnait avec son double. Elle surgit, polymorphe, dans des représentations énigmatiques dans la confusion de la roche, de la Méditerranée et du temps. Thetys s’incarne alors dans cette figure d’un monde désormais englouti dont nous ne percevons plus que la mémoire. Peinture, sculpture ou vidéo, tout ici ne vibre que dans l’hésitation de la lumière, le souvenir des profondeurs marines, du sel et du plancton. Et tout se dissout dans des vagues d’images dans leurs flux et reflux qui nous entraînent au seuil de l’invisible.

Par cette expérience d’art total, l’art et le mythe se confondent, de même que l’artiste se métamorphose à travers sa propre représentation. Le temps se dissout dans l’espace et l’on se prend à rêver que des étoiles de mer brilleraient dans le ciel. Fluidité des éléments, porosité, tout s’anéantit et revit dans le spectre des couleurs. Tout se cristallise dans la seule fragilité du monde et l’éphémère de l’éternité. L’art se joue ainsi des paradoxes, du réel ou de l’imaginaire. Il n’existe que dans la conquête de sa liberté. Artaud à nouveau, pour conclure : « Cette extraordinaire caverne ne peut cesser de renverser qui la découvre : elle ne cessera jamais de répondre à cette attente de miracle, qui est, dans l’art ou dans la passion, l’aspiration la plus profonde dans la vie. »

Jusqu’au 26 jan, Citadelle de Villefranche-sur-Mer. Rens: lacitadellevsm.fr

photo : © Ville de Villefranche-sur-Mer