L’amour foot !

L’amour foot !

« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois…« , a écrit Albert Camus. Julien Oheix s’inscrit « avec humilité » dans le sillage de l’immense auteur français, grand amateur de ballon, et publie un recueil hommage au sport le plus populaire de la planète : Les joueurs du dimanche.

« Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi ! » Si les choses ont évolué depuis l’époque à laquelle Pierre Desproges assénait ces mots, de tels propos restent encore ancrés dans la tête de nombreuses personnes pour qui le football est un sport d’arriérés, gangréné par l’argent. À ceux-là, répondons que le football est bien plus qu’un sport ultra médiatique, que c’est avant tout une passion partagée par des millions de personnes en France et dans le Monde. C’est aussi une culture marquée par une histoire ayant accompagné les bouleversements politiques et sociaux des deux derniers siècles, imprégnée par d’authentiques personnages aimés ou détestés, qui aura inspiré nombre d’artistes en littérature, au théâtre, au cinéma, en peinture… Et si certains esprits condescendants éprouvent aujourd’hui encore du mépris pour le foot, ils devraient savoir qu’art et sport ne sont pas antinomiques, ils devraient savoir que Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Pier Paolo Pasolini, Philippe Delerm, et tant d’autres, ont osé déclarer leur flamme et mettre en mots leur indéfectible attachement au ballon rond. Je parle ici du jeu pur, pas de son environnement délétère au fonctionnement quasi mafieux… Savoir aussi que Nicolas de Staël a peint Parc des Princes, chef-d’œuvre qui restitue toute l’intensité dramaturgique du match France-Suède auquel il assista, le 26 mars 1952. Il écrira au poète René Char : « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi, avec toute la présence que cela requiert, en toute invraisemblance. Quelle joie René, quelle joie ! » Qui dit mieux ?

Julien Oheix, homme de médias, homme de théâtre, qui a récemment mis un terme à sa « carrière » de joueur du dimanche, a lui aussi voulu rendre hommage au « ballon rond ». Les joueurs du dimanche, c’est justement le titre de son recueil de 43 nouvelles, entre histoires personnelles et anecdotes historiques, illustrant sa passion pour ce « noble jeu« , comme l’a écrit Umberto Eco. Au fil des pages, il nous raconte son premier album Panini glané lors d’un tournoi de jeunes, L’enfer des douches à l’approche de la puberté, le choix crucial des bons crampons à chausser avant un match, un après-midi d’été devant le tour de France avec un grand-père cycliste pour qui « le football n’est pas un sport« . Il lance aussi des réflexions, notamment sur ce moment particulier d’un avant-match, quand les joueurs des deux équipes se jaugent du regard dans le couloir, ou à propos de cette célèbre phrase, habilement décortiquée et mettant à l’honneur la beauté du geste : « Si c’est dedans, c’est pareil« .

Puis au milieu de tout cela, on (re)découvre ces petites histoires qui ont jalonné la grande Histoire du football : comme cette interview de Chris Waddle par Marianne Mako, première femme journaliste ayant contribué à un programme dédié à ce sport (Téléfoot), dans un vestiaire embué où déambulent des joueurs olympiens hilares et dénudés… Ou comme ce match visant à glorifier la grandeur du IIIe Reich après l’annexion de l’Autriche par les troupes d’Hitler. Une rencontre au cours de laquelle la sélection autrichienne ne devait pas marquer un seul but, mais qui vit Mathias Sindelar, le « Mozart du football », envoyer une frappe sèche au fond des filets, le contraignant à fuir le pays avec sa femme… juive.

« J’aurais pu organiser un jubilé, une journée symbolique entre copains afin de lui dire au revoir une bonne fois pour toutes. Mais j’ai eu envie de faire plus. Il fallait un adieu à la hauteur. Il m’était nécessaire de rendre au football une partie de ce qu’il m’avait offert toutes ces années« . Objectif atteint.

Les joueurs du dimanche de Julien Oheix (éditions Ovadia)