
28 Jan Identités floues
Le Théâtre National de Nice propose de (re)découvrir Il n’y a pas de Ajar [Monologue contre l’identité], déjà accueilli la saison dernière. Un spectacle salvateur, barré, rieur et truculent contre le communautarisme, issu du texte-monologue éponyme de Delphine Horvilleur, paru en 2022.
Étudiante, mannequin, épouse, mère, conteuse, ex-journaliste, directrice de revue, femme rabbin… Delphine Horvilleur revendique les identités multiples qui la constituent, la possibilité de pouvoir être plusieurs personnes à la fois. À l’instar de Roman Kacew, devenu célèbre sous le nom de Romain Gary et qui fut aviateur, ambassadeur, résistant, diplomate, écrivain couronné une première fois en 1956 du prix Goncourt sous son nom d’usage avec Les Racines du ciel, puis en 1975 avec La Vie devant soi sous un nom que personne ne connait quand parait le livre : Émile Ajar. Un pseudonyme qu’il s’était octroyé pour s’affranchir d’une critique qui lui tournait le dos. On ne peut recevoir deux fois le précieux prix. Donc, Gary alias Ajar refuse le Goncourt. Mais l’Académie refuse ce refus et maintient son attribution à quelqu’un qui n’existe pas ! De mensonges en fausses pistes, l’insolente mystification connaitra un dénouement radical avec le suicide de Romain Gary, le 2 septembre 1980…
Et c’est là que Delphine Horvilleur reprend le flambeau et enfonce le clou en donnant vie, littérairement, à Abraham, fils d’Émile Ajar qui n’a jamais existé ! Doublement ironique car… Vie et mort d’Émile Ajar, roman de Gary, parait à titre posthume en 1981, et c’est une femme, Johanna Nizard, qui joue le rôle tout en colère et gouaille d’Abraham. « Il m’est apparu comme évident, puisque ce texte suggère que nous sommes en transformation permanente et que nos identités sont floues, de pousser ce raisonnement jusqu’à le faire jouer par une femme, qui va jusqu’à raconter sa circoncision ! Par ailleurs, a surgi ces derniers temps fortement cette question un peu folle de l’appropriation culturelle. Faut-il être lesbienne pour parler des lesbiennes ? Juif pour parler des juifs ? Je trouvais intéressant de suggérer qu’à l’origine de la création, il était possible, voire nécessaire de se glisser dans la peau d’un autre. » Selon un proverbe africain : « Il y a beaucoup de personnes dans la personne.«
26 au 28 fév, Les Franciscains – Théâtre National de Nice. Rens: tnn.fr
photo : Il n’y a pas de Ajar [Monologue contre l’identité] © Pauline Legoff