À l’ombre, la lumière des mots

À l’ombre, la lumière des mots

De derrière les barreaux à la scène, deux pièces précieuses délivrent analyses et récits de vie sur des années en détention : À l’ombre du réverbère et Une fille sans personne. Les auteur.es Redwane Rajel et Carine Lacroix portent la fragilité humaine sur un plateau, avec tendresse, réalisme et poésie.

À l’ombre du réverbère

C’est l’histoire de Redwane Rajel, un adolescent bagarreur devenu boxeur professionnel, qui, un jour, a trop cogné. Condamné, il restera 6 ans en détention. Là, il rencontre Olivier Py et Enzo Verdet, lors d’ateliers de théâtre. Avec d’autres détenus, il jouera plus tard dans Antigone du même Enzo Verdet, présentée au Festival d’Avignon en 2018. Devenu comédien, il a écrit cette première pièce, autobiographique, À l’ombre du réverbère (dès 14 ans), programmée à Toulon et à Nice. On dira volontiers que le théâtre l’a sauvé, a changé sa vie. C’est joli à dire, mais c’est plus compliqué. Il raconte en 2023 : « Je me suis retrouvé en prison à 38 ans. On n’a pas le temps de réaliser ce qui se passe parce que c’est très bruyant et très, très violent. Des comédiens avec qui j’ai joué la première fois, pour Antigone, la majorité sont retournés en prison ou alors ils sont morts… La récente 49e victime du narcotrafic sur Marseille était celui qui jouait Antigone… Je me considère comme un miraculé ou une exception. » Bien que la France puisse s’enorgueillir d’être le seul pays à avoir  »institutionalisé » les projets artistiques en détention, « ce qui importe est qu’il faut repenser le système de la prison, parce que ça ne marche pas« , tempère Redwane Rajel. Dans un espace restreint encadré de miroirs, un banc rouge est à la fois lit et barreaux, et Redwane Rajel y joue son propre rôle. Il retrace son parcours qui l’a mené de la prison aux planches. Il remonte le fil de ses souvenirs et dit la puissance transformatrice des mots. Son témoignage est mêlé à une réflexion plus large sur l’univers carcéral, fondée sur le travail de Bertrand Kaczmarek, ancien directeur adjoint de prison devenu docteur en philosophie, et co-auteur du texte.

Une fille sans personne 

Sous la très belle plume de Carine Lacroix, nous suivons les échanges épistolaires entre une détenue, Iris, et une intervenante en atelier d’écriture, Camille. Il y a dans leurs lettres, qui dessinent aussi leur lien, des pépites de poésie et de vérité crue, de désirs et de colères, d’attentes et de déceptions. Sans le savoir, elles partagent un destin commun, celui de la solitude et de l’enfermement subi par la détention pour l’une, entraînée comme dans un cercle dépressif pour l’autre. Chacune d’elles joue  »l’autre », la personne qui nous attend, la personne qui pense à nous. Mais parfois c’est personne. Pour ce Une fille sans personne (dès 12 ans), en sélection au festival Scène d’Automne à Nice, Maxime Cazard opte lui aussi sur une mise en scène sobre et en reflets, non pas au moyen de miroirs cette fois, mais en postant les deux femmes face à face, en reflet l’une de l’autre. On retient de ces récits qu’il faut que la colère puisse être exprimée. Et qu’elle soit entendue. Et on comprend que la violence constante, l’isolement et le bruit incessant rendent fou, ce bruit que décrit le personnage d’Iris dans une lettre titrée Choses que vous ne pouvez pas imaginer : « On vit dans une boîte à outils. Les serrures métalliques, les clés toujours en meute, les grilles, les coups dans les portes. » Et dans ses bons jours, elle rêve en couleur : « La cellule est orientée à l’ouest. On le devine au morceau de ciel en haut de la fenêtre. À la fin des journées, il se colore comme un bout du monde. Au pied du mur, en tournant bien la tête, il s’agrandit. Je l’ai attrapé à travers les quinze barreaux, l’ai déplié et m’en suis fait un paysage. Orange. Ailleurs. »

À l’ombre du réverbère, 15 et 16 oct, Théâtre Liberté, Toulon – 27 au 29 jan, Théâtre Les Franciscains Nice. Rens: tnn.fr
Une fille sans personne, 11 oct, Les Arts d’Azur, Le Broc. Rens: lesartsdazur.net

photo: À l’ombre du réverbère © Claire Gaby