Boréalités, L’homme de Skrida

Boréalités, L’homme de Skrida

À Nice, Le Narcissio propose une exposition de photographies de l’écrivaine Sophie Braganti, qu’elle a dévoilées lors d’une soirée de lecture de morceaux choisis de son roman, L’Homme de Skrida, avec performance dansée et improvisée d’Emmanuelle Pépin et création sonore d’Eric Caligaris. Le Narcissio, toujours « en recherche artistique tendue entre différentes expressions artistiques« , comme le précise sa fondatrice Florence Forterre en préambule, propose cette exposition jusqu’au 18 octobre.

Un vaste carré vide au sol, une chaise, un micro sur pied et un pupitre, une table basse, un ordinateur et des enceintes : la scénographie est minimaliste. Les mots lus de Sophie Braganti, les mouvements colorés d’Emmanuelle Pépin et les sons lancés d’Eric Caligaris vont faire le jeu de cette plongée dans l’histoire ancienne d’un bout d’Islande, au XVe siècle. La poétesse entame sa lecture, les mots dansent, s’allongent puis s’arrêtent, et nous entrons dans l’Histoire que fait surgir l’histoire. Alors qu’elle lit un passage où un prêtre, en retard, est attendu par une assemblée monacale, je remarque qu’un coussin délicat a été posé au sol devant l’ordinateur d’Éric Caligaris, il est en génuflexion. Il envoie ses pistes comme des sondes capables de traverser les pensées et les éléments. Emmanuelle Pépin apparaît, elle est tantôt glace, tantôt roche, elle change de costumes comme on perçoit les couleurs au fil de la lecture : bleu, rouge, noir, blanc… Elle sait  »montrer » la verve par les mouvements de son corps, l’entrave parfois, la délicatesse souvent. En la regardant danser, on écoute mieux.

À la question : « D’où venez-vous ? » (entretien à lire sur lelitteraire.com), Sophie Braganti répond : « De l’histoire de ceux qui me précèdent et de ceux à qui je me suis frottée, froissée, fritée, formée délibérément ou de manière fortuite : de ce qu’ils ont fait de moi. » Précisément, elle fait  »quelque chose » de l’homme de Skrida, et ce récit épique a surgi de son esprit fertile par le maigre terreau narratif d’ossements et d’éléments de décor naturel observés au cours d’heures de marche contemplative : l’homme a vécu entre le XVe et le XVIe siècle à l’est de l’Islande, dans une des régions les plus reculées du pays. Et à travers les mots de Braganti, le voilà qui vit et revit. « Ne pas lâcher les morts. Prolonger. Exhumer. Ressusciter. Revisiter. Ranimer. Remontrer. Retenir. Et d’autres verbes en  »re’‘. » Ses descriptions minutieuses ont un fort pouvoir de représentation, parfois en sauts de champs sémantiques. Accrochés aux murs qui encadrent la scène de lecture et performances, ses photographies déclinent des aspérités de roches disposées comme des écrins et accueillant des fragments de plantes capables de s’élever en terre désertique et froide. Ensemble, ils absorbent une lumière hivernale pleine et ronde dans des compositions aux airs de clichés de stars apprêtées pour une séance photo. Par petits prélèvements, on découvre des bouts d’Islande, dans un documentaire visuel poétique et tenace.

Exposition, jusqu’au 18 oct, Le Narcissio, Nice • Atelier d’écriture avec Sophie Braganti, 11 oct 10h-12h • roman L’Homme de Skrida (Esperluète Éditions) (Voir La Strada N°374). Rens: le-narcissio.fr

photo: vue de l’exposition © Le Narcissio