Franck Thilliez, maître de l’outrenoir

Franck Thilliez, maître de l’outrenoir

Auteur de romans policiers et de thrillers, Franck Thilliez est également scénariste de séries et de BD. Après un ex-douanier, un ex-flic, un ex-journaliste… c’est au tour d’un ex-ingénieur d’être l’invité d’honneur du Festival du Polar de Saint-Laurent-du-Var, attendu les 11 et 12 octobre. Entretien avec un maître du polar français, aussi lumineux que ses écrits sont noirs.

Vos fans de la région vont être enchantés par votre présence au 7e Festival du polar de Saint-Laurent-du-Var. Et de votre côté, quel a été le déclic pour accepter d’être invité d’honneur ? 

J’habite le Nord de la France et je ne vais pas souvent dans le Sud. C’était l’occasion de rencontrer mes lecteurs. Et puis ce festival est reconnu, j’en avais entendu parler par mes collègues et amis écrivains. J’avais été invité plusieurs fois auparavant, mais je n’étais pas libre. Cette fois c’était la bonne. Difficile de refuser un week-end dans un si bel endroit et en si bonne compagnie !

Vous étiez ingénieur, spécialiste des nouvelles technologies, lorsque vous vous êtes lancé dans le polar avec Conscience animale ?

J’ai toujours adoré les histoires, les intrigues, et les enquêtes policières en particulier. L’univers du « noir », les polars et les thrillers, ce sont mes genres préférés, que ce soit au travers des livres, comme ceux de Stephen King ou Conan Doyle, ou via les films d’horreur, ou à suspense. Mais je n’avais jamais rien écrit. Puis l’écriture a jailli de manière très abrupte, presque du jour au lendemain. J’ai fait un essai de rédaction, j’ai réalisé que je pouvais tout à fait exprimer les images que j’avais en tête et les histoires que j’imaginais. Je ne me suis même pas posé la question, ma première histoire s’est rangée naturellement dans cet univers.

Difficile avec le succès de garder vos deux activités d’ingénieur et d’écrivain. Comment le choix s’est-il imposé à vous ?

Comme nombre de romanciers aujourd’hui, j’ai exercé effectivement deux métiers pendant quelques années : ingénieur le jour, et écrivain le soir et les week-ends. J’ai écrit ainsi mes quatre premiers livres en parallèle de mon travail. Quand La chambre des morts, mon troisième livre, a bien fonctionné, j’ai pensé à ce moment-là que je pouvais faire la bascule et devenir pleinement écrivain. Mais le choix n’était pas évident : j’ai fait plusieurs années d’études, mes parents ont financé tout cela, j’aimais mon domaine d’activité, j’avais un bon salaire, régulier… Comment faire une croix sur tout cela ? L’écriture a cependant pris le dessus. L’incertitude a laissé la place à une période de liberté et de joie de pouvoir vivre de sa passion. J’ai tout fait pour être au rendez-vous et écrire de bonnes histoires pour mes lecteurs. 

Vos – très – nombreux fans apprécient notamment votre approche scientifique, le côté anticipation de certains de vos livres comme dans Pandemia. Cet aspect est-il justement lié à votre formation d’ingénieur ?

Oui, complètement. Cela a un grand rapport. Quand on est ingénieur, on apprend à résoudre des problèmes, à aborder des sujets différents, avec un esprit rigoureux, à s’approprier un domaine. Il existe beaucoup de parallèles :  j’aime les sujets scientifiques, la science en général, apprendre comment fonctionnent les choses, apprendre à les restituer. 

Un peu comme un journaliste ou un enquêteur ?

Oui, il y a un travail comparable d’enquête, de recherches, on fouille dans différents domaines et on reconstitue ces éléments ! Avec l’imagination en plus.

Vous partagez d’ailleurs votre imagination entre la série des Sharko et Henebelle, la série Caleb Traskman et d’autres romans one shot. Ce n’est pas banal de donner son propre prénom à son héros principal ? Qu’a-t-il de vous ?

Nous sommes très différents ! Évidemment, son tout premier personnage, on passe du temps à l’imaginer, on lui crée un passé, une origine… Je lui voulais une identité rude. D’ailleurs rien que son nom, Franck Sharko, ça accroche la langue, on a l’impression de cracher quand on le prononce ! Dans un héros, on met forcément un peu de soi, de son vécu, de son cerveau et de ses visions. Je dirais que notre point commun, c’est l’humanité. 

Sharko, c’est aussi pour Shark, le requin ?

Effectivement, cet enquêteur est un vrai prédateur. C’est sa force, quand il flaire le sang, il ne lâche plus ni l’affaire ni sa proie !

Que pensez-vous des adaptations de vos romans en séries ou en films ? 

Je suis très heureux quand mes histoires intéressent d’autres médias et peuvent vivre à travers. Dès que l’auteur accepte une adaptation, celle-ci lui échappe, et l’adaptation peut être très différente de l’histoire d’origine. Pour ma part, quand j’accepte, je me dis que c’est une nouvelle aventure, et que j’ai de la chance. Forcément, certains de mes lecteurs sont déçus, car ils ont eu le temps de se projeter au fil de la lecture. Mais moi je suis toujours ravi !

Vous êtes également l’heureux scénariste de la BD La Brigade des cauchemars à destination des adolescents ?

Belle aventure également ! C‘est en souvenir de mes lectures de jeunesse. J’adorais frissonner, me plonger dans Le club des 5 ou La bibliothèque verte. C’est ma façon de transmettre. La BD reprend cet univers noir que j’aime, et c’est un beau complément à mes romans. Côté jeunesse toujours, vient de sortir Le Roman maudit, chez l’éditeur Auzou. Un thriller à lire comme un calendrier de l’avent, un chapitre par jour. Le but est d’amener (ou ramener) les jeunes à la lecture.

Être scénariste de série est-il très différent d’être auteur de roman ? 

Il y a des différences et des points communs. Il s’agit toujours de raconter des histoires, d’inventer des personnages et de nouer une intrigue.  Écrire un roman est un travail solitaire, sans limites, alors qu’être scénariste, c’est n’être qu’un maillon d’une chaîne, qui comporte le producteur, les comédiens, etc. Il faut s’adapter aux contraintes budgétaires, à l’âge du public… La série Alex Hugo, par exemple, ne devait pas être déconseillée à des jeunes d’une dizaine d’années même si on évoquait des crimes. Un scénario, c’est toutes ces contraintes à gérer, mais on peut quand même raconter de belles histoires.

Vous aimez les citations, les épigraphes. C’est important pour vous de trouver la bonne citation ?

Mes livres jouent beaucoup avec les sens, la vue pour les images très fortes, les sons, les odeurs, les sonorités. Les citations sont issues de mes lectures ou des musiques que j’écoute ; elles contribuent à installer l’ambiance et les personnages, elles reflètent mon univers. J’en mets peu donc je les choisis avec soin. 

Ce n’est pas trop difficile de dédicacer des polars bien noirs à sa famille ?

Oui ça peut surprendre, surtout dans les premiers romans. Il faut dire aussi qu’il y a un décalage énorme entre ce que j’écris et la personne que je suis. Mais après 25 livres, ils sont habitués. Mes enfants lisent mes livres et les commentent !

Pour ceux qui vous découvriraient, comment définiriez-vous votre type de polar et son succès ? 

J’écris deux types de livres, des romans qui se suivent et des thrillers tordus, avec des sujets autour de l’ADN, de la mémoire, du cerveau… Mes livres sont très construits, très crédibles, très documentés et je recherche des sujets originaux. Je crée des personnages qui embarquent et dont les lecteurs se sentent très proches.

Parmi vos thèmes majeurs, celui de l’enfermement est très prégnant ?

J’écris sur de grands sujets, sur des éléments de grandes mécaniques, comme la disparition, les lieux souterrains… Des éléments d’intrigues très forts, qui vont enfermer le lecteur lui-même. 

Parlez-nous de votre dernier livre, À retardement, basé sur l’univers psychiatrique ? 

Dans ce livre, je parle des UMD, les Unités pour Malades Difficiles, et de la psychiatrie lourde. J’ai imaginé une UMD dans l’Oise. On a beaucoup parlé de la santé mentale cette année, reconnue Grande cause nationale. J’avais envie de mêler les deux univers, celui de la police et celui de la maladie mentale. Et étudier comment cette maladie est représentée dans le monde d’aujourd’hui.

Quel est le loisir ou l’activité qui vous permet de vous évader avant de replonger dans le noir ?

Le Sport ! Je cours, je joue au tennis… j’adore aussi le cinéma et y aller en famille. J’habite la campagne, je cultive mon jardin… Rien à voir avec mes intrigues !

Dans votre actualité donc, un nouveau tome de La Brigade des cauchemars, le Thriller de l’avent… et une nouvelle adaptation ?

L’adaptation de mon roman Il était deux fois arrive prochainement sur les écrans. La série éponyme, sur France 2, comporte 6 épisodes. Plusieurs grands acteurs y jouent, dont l’héroïne Odile Vuillemin, connue notamment pour la série Profilage.

N’avez-vous jamais été tenté d’apparaître dans une série ?

Justement, dans cette adaptation de Il était deux fois, je fais un Caméo (ndlr: apparition furtive, clin d’œil de l’auteur dans son œuvre. Une spécialité d’Alfred Hitchcock) ! Vous me verrez quelques secondes jouant un gendarme…

NOIR COMME LE POLAR

Le 7e Festival du Polar de Saint-Laurent-du-Var se tiendra les 11 et 12 octobre 2025 à la salle Deboulle. De nombreuses animations et plus d’une trentaine d’auteurs de la scène polar française sont attendus, aux côtés de l’invité d’honneur Franck Thilliez, figure incontournable du thriller francophone.

Durant tout le week-end du festival, des rencontres et débats s’articuleront autour de jeux d’enquête et de réalité virtuelle, d’une murder party, d’une reconstitution de scène de crime, d’une exposition interactive (Lux in Tenebris) offrant une plongée noire dans le haut moyen-âge… Mais aussi d’un concert jazz – genre musical qui a magistralement illustré nombre de films noirs, dont Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger qui le premier fit appel à Duke Ellington pour la BO du film, en 1959 – avec le trompettiste William Treille, et d’une pièce de théâtre avec un ancien flic et taulard.

De la PJ à la scène
En prélude au festival, le 10 octobre, Thierry Roudil retracera la route sinueuse de sa vie prise un jour À contresens et qui va le conduire « des planques aux planches« , sur la scène du Conservatoire municipal de Saint-Laurent-du-Var. Ce récit autobiographique, mis en scène avec sobriété, porté par la direction artistique d’Olivier Werner et un travail sur le son et la lumière de Samuel Kleinmann, offre une plongée intime entre le monde de la police judiciaire et celui du théâtre, dans une oscillation constante entre vérité crue et introspection. Une mise en bouche qui vise à poser les thèmes du festival : enquête, face à face entre vérité et fiction, rapport à l’ombre de la violence. En l’intégrant au programme, les organisateurs marient littératures policières et formes d’expression artistique, ouvrant le festival sous un angle dramatique et immersif.

Plus d’une trentaine d’auteurs
Parmi les plumes présentes, le festival mêle auteurs reconnus et voix émergentes – dont Franck Thilliez, invité d’honneur, Eric Giacometti, Sandrine Destombes, Bernard Deloupy, Karine Giebel, Philip Leroy, Mo Malo, Ian Manook, René Manzor, Cédric Sire… et bien d’autres. La programmation veut établir un pont entre le lecteur passionné et l’envers du décor du roman noir : au-delà des dédicaces, les débats permettront de scruter les mécanismes de l’écriture, l’influence du réel sur la fiction policière, ou encore la place du polar dans le panorama littéraire contemporain.

Prix des lecteurs 
Autre moment attendu, le Prix des lecteurs – destiné à valoriser le regard du public sur le polar contemporain et attribué par un jury composé de 9 résidents de la Métropole Nice Côte d’Azur – remis cette année à Antoine Renand, pour La fille de Jonathan Becker. Scénariste, réalisateur et romancier, l’auteur de 46 ans, qui faisait partie d’une sélection constituée de 3 ouvrages, s’était déjà fait remarquer avec L’Empathie, Fermer les yeux, ou S’adapter ou mourir. La fille de Jonathan Becker raconte l’histoire d’une femme liée à l’un des pires tueurs en série, qui a tenté de reconstruire sa vie à l’ombre du passé. Au carrefour des styles et des écritures, ce 7e Festival du Polar promet, une fois encore, de beaux moments de tension, d’échanges et de découverte.

11 & 12 oct, salle Louis Deboulle, Saint-Laurent-du-Var. Rens: saintlaurentduvar.fr