08 Oct Sur l’autoroute numérique
Avec Highway Hypnosis, présentée par l’Espace de l’art concret à Mouans-Sartoux, Annika Katja Boll nous entraîne dans un état de conscience flottante, inspiré d’un phénomène bien connu des conducteurs : celui où l’on parcourt des kilomètres sans souvenir précis du trajet, comme absorbé dans un rêve éveillé.
Présentée dans le cadre du prix L’Écho des cime – dont l’objectif est d’accompagner les alumni, jeunes artistes récemment sortis de la Villa Arson, dans leur insertion professionnelle – remporté par Annika Katja Boll, l’exposition prend cet état de conscience modifiée comme point de départ pour interroger notre rapport à la perception, à la répétition et à une nature de plus en plus médiatisée par la technologie.
Chez cette jeune artiste, la route devient une métaphore : celle d’un monde saturé d’images, de flux et d’objets produits en série. Elle s’intéresse particulièrement à la manière dont la nature y est représentée, reproduite et transformée. À travers des techniques comme la photogrammétrie, la modélisation 3D ou l’animation algorithmique, l’artiste scanne minutieusement des éléments du réel – feuilles, branches, sols – pour en faire des volumes numériques. Ces coquilles géométriques, souvent vides, sont ensuite recouvertes de textures photographiées, puis réinjectées dans des installations, des sculptures ou des environnements numériques. Un procédé qu’elle qualifie elle-même de « jardinage digital« .
Plantes imprimées en 3D à partir de modèles scannés, natures artificielles sur écrans aux couleurs criardes, objets détournés de l’univers publicitaire : l’exposition joue sur l’ambivalence entre attraction visuelle et malaise diffus. Boll compose des paysages séduisants, brillants, presque ludiques, tout en révélant la manière dont la technologie modifie en profondeur notre perception du vivant. Ses œuvres captent le regard, mais laissent aussi une sensation d’étrangeté, comme si la nature qu’elles montrent n’était plus qu’un souvenir simulé.
Dans la série Pine Essentials, l’artiste pousse encore plus loin cette fascination pour la réplique. Grâce à la macro-photogrammétrie, elle capture des spécimens de pins locaux, transformés ensuite en objets imprimés en 3D, à la fois précis et fantomatiques. Ces fragments de forêt deviennent les artefacts d’un monde où le naturel est filtré, archivé puis reconstitué selon une logique de rendu numérique.
En explorant les frontières floues entre réel et virtuel, Highway Hypnosis met en scène une forme contemporaine d’hypnose collective. Dans cette traversée d’un monde numérisé, où le vivant se fait image, Annika Katja Boll nous invite à reprendre conscience du paysage, du regard, de notre propre présence.
Jusqu’au 19 oct, Espace de l’art concret, Mouans-Sartoux. Rens: espacedelartconcret.fr
photo: Annika Katja Boll, Walking Simulator 1, 2023, 14:59mn, animation. Vue de l’exposition Ce qui nous oblige au Centre d’art contemporain de la Villa Arson, Nice © courtesy de l’artiste © JC Lett