
26 Mai Quel avenir pour les salles obscures ?
Deux mois sans projections, sans films, sans activité. Depuis le 15 mars, les salles de cinéma ont baissé le rideau et rangé le pop-corn. Alors que les bars et restaurants pourraient rouvrir le 2 juin, les exploitants sont encore dans le flou concernant leur reprise. Une incertitude qui s’ajoute à de nombreuses zones d’ombres, notamment pour les établissements indépendants.
Le 14 mai 2019, Quentin Tarantino foulait le tapis rouge cannois talonné par Brad Pitt, Di Caprio et Margot Robbie. Mais ça, c’était il y a un an. Aujourd’hui, pas de festival de Cannes, pas de salles de cinéma, juste la saison 4 de La Casa de Papel sur Netflix. Si la situation des grosses boîtes de production comme UGC, Pathé-Gaumont ou MK2 inquiète, c’est celle des cinémas indépendants qui semble la plus critique. Sans rentrée d’argent depuis deux mois, ces salles sont frappées de plein fouet par le confinement et ne savent toujours pas quand elles pourront reprendre.
Une réouverture complexe et incertaine
« On n’a aucune information quant à la reprise ». Patron des cinémas Rialto et Variétés à Nice, Thierry Duchêne est à l’arrêt depuis mi-mars et ignore encore quand il pourra rouvrir. « Si tout va bien, on devrait en savoir plus au début du mois de juin ». Une situation inconfortable que partage également Eva Brucato. La gérante du cinéma Le Royal à Toulon espère une réouverture mi-juillet. » C’est ce qui semble le plus probable » affirme la cinéphile. « Si l’activité reprend cet été, il faudra être très strict quant aux normes sanitaires. »
Sur cet aspect-là, les consignes sont claires. « Les horaires des projections seront organisés afin d’éviter un grand rassemblement de personnes » détaille-t-elle. De plus, « une rangée sur deux et un siège sur deux peuvent être occupés » affirme Thierry Duchêne. Soit un total d’un siège sur quatre. Eva Brucato a déjà fait ses calculs, sa salle de 268 places ne peut donc accueillir que 67 spectateurs. Mais l’enjeu de la reprise est moins de remplir les salles que de proposer du cinéma aux amoureux du 7e art. Car le cinéma, ce n’est pas qu’un film, c’est aussi une ambiance.
Qu’on y aille en famille ou avec des amis, une séance de cinéma, c’est avant tout un moment à partager. Et c’est cela qui manque le plus à Xavier Vaugien. Le responsable du Cinéma de Beaulieu le reconnaît :« Deux mois sans cinéma, c’est long, très long… et rien ne remplace l’ambiance d’une projection ».
Jean-Marie Charvet, qui dirige le cinéma Le Vox à Fréjus, rencontre la même problématique. Mais pour ce fou de musique qui a toujours tenté le mix entre cinéma et concert, la frustration est double. Il ne se décourage pas pour autant, car il prévoit d’innover avec des projections-concerts en plein air. Il attend de connaître les nouvelles données de sécurité sanitaires attendues pour le 2 juin.
L’inconnu des programmations…
Mais alors, qui sera à l’affiche pour la réouverture ? Quel film prendra le risque de sortir en plein été ? C’est tout l’inconnu qui attend les amateurs du grand écran. Sur ce point, ce seront aux cinémas de décider quoi proposer.
À Beaulieu-sur-Mer, Xavier Vaugien pense faire des projections spéciales en plein air avec DJ et apéro. Au Vox, Jean-Marie Charvet tentera de continuer dans le droit fil de son amour pour les ciné-concerts et les projections sous les étoiles. Du côté du Toulon, Le Royal envisage de reprogrammer les films de la semaine du 11 mars, « ceux qui n’ont eu que trois jours d’exploitation », regrette Eva Brucato (ndlr : La Bonne Épouse de Martin Provost avec Édouard Baer, Radioactive de Marjane Satrapi ou encore Une sirène à Paris de Mathias Malzieu).
Dans tous les cas, les salles ne peuvent pas compter sur les films qui sortiront cet été, car ils ont tous (ou presque) été déprogrammés. On peut penser à Black Widow prévu en mai, mais reporté à novembre, à Top Gun : Maverick, retardé à décembre, mais aussi au film Kaamelott (bande annonce ci-dessous, pour le plaisir !). Attendu par ses fans depuis des années, celui-ci sortira le 25 novembre. Au final, les seuls grands noms à l’affiche seront Mulan et Tenet, le dernier film de Christopher Nolan, dès le 22 juillet prochain.
Cette « pénurie » de productions estivales contraste avec la vague de films en prévision cet hiver (Kaamelott, James Bond, Black Widow, S.O.S Fantôme, Free Guy…). Un casse-tête pour Xavier Vaugien. La salle de Beaulieu-sur-Mer étant mono-écran, le responsable va devoir faire des choix, car il ne pourra pas tout retransmettre. « Nous n’avons pas vraiment notre futur entre nos mains, ce sont les boîtes de prod américaines qui dictent notre quotidien », constate-t-il. « Mais on ne peut pas leur reprocher de ne pas sacrifier leur film. » Le meilleur exemple étant Pinocchio de Matteo Garrone. Alors que le cinéma de Beaulieu-sur-Mer avait mis en place une soirée pour l’avant-première le 18 mars, le film ne connaîtra finalement pas de sortie en salle. Les producteurs ont préféré le rendre disponible sur Amazon Prime Vidéo. Une triste fin pour un long-métrage très prometteur et un constat amer pour les salles de cinéma indépendantes.
… et de la fréquentation
Cette vague de report pose également la question de la fréquentation. « On ne sait pas si le public sera au rendez-vous, je comprends les inquiétudes des spectateurs », affirme Eva Brucato. « Il faut assurer leur sécurité avant tout. » D’autant que, selon une étude réalisée par le CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée) en janvier 2020, 41% des spectateurs sont âgés de 50 ans ou plus.
Toutefois, le monde du grand écran veut rester optimiste. En témoigne le récent mouvement #OnIraTousAuCinéma qui invite les spectateurs à venir en salle pour la reprise, mais aussi les nombreux drive-in qui s’organisent (cf. article Le drive-in fait son remake, 20 mai 2020) Rouen, Cannes, mais aussi Barjols remettent au goût du jour cette tradition américaine, presque disparue en France depuis la fin des années 60.
Alors en attendant la réouverture, vous savez quoi faire. Sortez votre plus belle deudeuche et tous au drive-in !