Art is work

Art is work

On n’est pas sérieux quand on est un artiste! De tout temps et à toute époque, les artistes se sont vus coller des étiquettes souvent peu flatteuses en raison de leur choix de vie. Aujourd’hui encore, celui qui a décidé de se consacrer à l’art est regardé parfois d’un air soupçonneux, victime de clichés qui ont la vie dure. D’ailleurs, artiste ce n’est pas un métier. Mais peut-être est-ce un si beau métier qu’il est difficile d’être accepté comme tel. La vie de l’artiste semble auréolée d’une liberté qui échappe à la majorité. Elle est faite d’océans de créativité, de rencontres, de recherches qui demandent du temps, loin des objectifs de productivité auxquels la plupart des individus sont soumis à l’heure actuelle.

Pourtant l’artiste n’est pas pour autant enfant de bohème. Art is work #ibelieveinartists rappelle un bandeau qui a fleuri sur Facebook. Oui, il faut faire tomber les clichés, et tant pis si pour cela quelques bribes de rêve s’effritent. L’art est un véritable travail qui répond aux exigences de n’importe quelle profession.

On ne naît pas artiste, on le devient. La plupart de ceux qui nous font rêver se sont formés, travaillent assidûment leur pratique. Bien sûr, à la base, il y a des prédispositions comme le scientifique dispose de la faculté de jongler avec l’abstraction ou le professeur de français adore passer son temps le nez dans les livres. Peut-on imaginer un danseur sans technique, un sculpteur sans connaissance du matériau, un peintre ignorant des perspectives ? Loin de nier le talent, cette  aura qui apporte une touche unique à la création, il faut reconnaître que l’artiste doit aussi en passer par une mise en pratique de son activité, des périodes d’essais et d’erreurs qui le font avancer, des moments d’acquisition de nouvelles façons de faire.

La situation sanitaire actuelle rend la situation des artistes plus délicate que jamais, car l’activité culturelle est mise en sommeil depuis plusieurs mois malgré quelques expériences de part et d’autre. La création est-elle un vecteur d’une telle dangerosité ? Je pense à cette galeriste entrée en résistance: comment un espace d’exposition de plusieurs dizaines de mètres carrés accueillant quelques personnes chaque jour peut-il être plus dangereux qu’une grande surface brassant quotidiennement le passage de centaines de personnes ? Je pense à toutes ces salles qui ont joué le jeu de l’accueil sécurisé, mais qui se voient de nouveau contraintes de reporter tous leurs projets aux calanques grecques laissant une fois encore sur le carreau de nombreux professionnels gravitant dans le milieu artistique. Il y a derrière tout cela un important travail d’hommes et de femmes engagés dans la société, qui semble être rayé administrativement et peut-être arbitrairement. Nous semblons enfermés dans une logique mécanique qui empêche tout regard différent, tout souffle audacieux. Loin de vouloir minimiser la gravité de la crise sanitaire que nous vivons, on peut toutefois se demander si d’autres solutions ne pourraient pas être envisagées permettant à la créativité de faire son œuvre. Certes nous ne pouvons pas rêver pour vivre, mais continuons à vivre pour rêver en nous protégeant intelligemment.

(illustration : La Shica, Nice Jazz Festival 2007 © DR)