29 Jan Proust s’étouffe avec sa madeleine
Le 21 janvier dernier, Anthéa proposait la retransmission en direct du Nouveau spectacle de Gaspard Proust. J’y étais ! Tentons de départager la joie d’assister — enfin — à un événement théâtral de celle de (re)voir le Slovéno-Suisse le plus décomplexé des humoristes.
Après Stephan Eicher dans ma cuisine, j’ai testé Gaspard Proust dans mon salon. L’un via France inter et Facebook live, l’autre via le site internet du théâtre d’Antibes.
Chaque année, je prends un abonnement à Anthéa, pour me régaler de spectacles vivants : théâtre, cirque, concert… Pour partager toutes ces émotions avec amis ou amoureux, et pour faire découvrir une grande palette d’artistes à mon enfant.
Cette année, j’avais un peu hésité à cocher la case Gaspard Proust. Je l’avais vu « en vrai » il y a quelques années et j’étais sortie du spectacle quelque peu sonnée : brillant oui, drôle oui, sans peurs et absolument sans tabous, mais très — trop — noir pour moi. Je ne comptais pas me reprendre une séance d’électrochocs de sitôt. Et puis comme cet artiste annonce depuis un moment ses adieux à la scène, et que c’était donc peut-être la dernière occasion de le faire découvrir sous cette forme à mon adolescent*, j’ai finalement réservé. La Covid s’invitant quant à elle sans prévenir, j’ai accepté avec enthousiasme la formule « retransmission en direct« , sans remboursement et donc en soutien au théâtre. Parce que oui, c’est tellement mieux que rien !
À 20h15, toutes lumières éteintes, le téléphone en mode avion, nous nous sommes calés dans notre canapé, les yeux rivés sur l’ordinateur, en mode « conditionnement spectacle ». Rien que de voir apparaître le bâtiment du théâtre, les mentions « en direct d’Anthéa », « live », et le nombre de personnes connectées augmenter, nous avions le sourire aux lèvres. Malgré quelques mini coupures, nous avons presque oublié que nous n’étions pas dans la salle. Le directeur Daniel Benoin a introduit le seul en scène, il y avait même le brouhaha typique puis des rires qui sonnaient étrangement justes.
Alors la retransmission en direct ? On vote pour. « Fondamentalement, ça ne change pas le spectacle« , dixit mon ado. Une petite madeleine, nostalgique d’Au théâtre ce soir pour moi. La formule est donc à généraliser, même quand nous pourrons retourner sur place, en complément du spectacle in situ. Si on a la flemme de prendre la route, si on est patraque, si on est immobilisé pour une raison ou une autre…
Et ce Nouveau spectacle alors ?
Pour ceux qui ne le connaîtrait pas, en quelques images, Gaspard Proust est cet acteur de cinéma et de théâtre, slovéno-suisse de 44 ans, qui a vécu 12 ans en Algérie, plutôt solitaire, passionné d’alpinisme, de musique classique, admirateur de génies littéraires, qui mange beaucoup — « de sucre et de la graisse » — et qui se dépense beaucoup. De son propre aveu, Gaspard Proust a creusé son personnage « de bouffon, de bolchevique refroqué« , de pitre réactionnaire et cynique, d’anti-conformiste sans once d’empathie, avec sa plume abrasive qui n’épargne personne. Après avoir plongé la salle dans le noir et passé de longues minutes à nous parler depuis sa loge, il a surgi soudain en culotte tyrolienne.
– « C’est plus intéressant de jouer un connard de droite sur scène », explique-t-il.
– « C’est drôle, ça m’a fait rire, même si parfois on se sent honteux de rire, lui réplique mon ado. Comme avec le plombier polonais et les camps ; j’aime cette forme d’humour noir. Cet artiste est une bonne découverte« .
Pas de réelles surprises donc, 1h30 d’horreurs débitées sur un rythme saccadé qui lui font répéter « j’ai encore perdu des gens ce soir ? », des rires coupables et complices à la fois — l’écran affiche 794 personnes connectées, et ce petit goût amer en quittant la salle, enfin, l’ordinateur.
Gaspard Proust compte « laisser mourir ce spectacle » qui existe depuis plus de 5 ans : cette retransmission constitue-t-elle une étape intermédiaire ?
Gaspard a dit…
… « Ancien gestionnaire de patrimoine en Suisse, j’ai vécu au RMI après avoir claqué tout mon argent, j’ai pris des risques en venant tout recommencer sans rien à Paris«
… « J’ai toujours la peur du lendemain, je trouve que la vie est un grand drame«
… « J’aime beaucoup l’humour par ce que c’est un art qui n’est pas assez castrateur pour m’empêcher de le faire«
… « Une vraie satisfaction ? Quand je me dit que peut-être cette phrase Cioran aurait pu l’écrire, soit peut-être 20 phrases en 5 ans«
… « J’ai une détestation assez profonde des sports collectifs«
… « Le bien, le mal ne m’intéressent pas dans la création, l’amoral oui«
… « L’amour, c’est un petit truc léger, comme ça, qui vous traverse, une petite sensation, ça n’a aucun intérêt«
… « J’essaye vraiment de travailler l’idiot intérieur, l’innocence des idiots me fascine »
… « Si j’étais vraiment méchant, les gens ne viendraient pas«
… « Dans la vie, je suis plutôt agaçant«
*Spectacle à partir de 16 ans