Les quatre saisons de l’amour

Les quatre saisons de l’amour

En cette période de Saint-Valentin ma déclaration d’amour n’ira pas à une personne (je sais qu’il ne m’en voudra pas) mais à une ville (je sais qu’il comprendra). Pari un peu fou d’évoquer ce lieu sur lequel tant ont déjà écrit. Mais comment ne pas non plus succomber à la tentation. Certains l’admirent, d’autres la snobent (trop surfaite, trop vieillotte, trop touristique…), mais tous ont un avis sur elle : c’est que Venise ne peut laisser indifférent.

Voilà plus d’un an que je ne me suis pas perdue dans ses ruelles et le manque est là, presque physique. Car Venise est un poison* qui peut prendre peu à peu possession de celui qui ne se méfie pas.

C’était l’hiver et ce fut un coup de foudre. Étudiante de vingt ans, me voilà embarquée sac à dos et train de nuit à la découverte de son fameux carnaval. Le choc bien sûr en passant le pont de la Liberté et le sentiment d’être transportée hors du temps. Le décor, les costumes, le monde, le tourbillon de la fête, et le soir, la brume qui vient envelopper le lieu de mystère… tout semble tellement irréel. Longtemps, je garderai de ce bref périple un parfum d’exception. Mais la curiosité et le vie me portent vers d’autres chemins tandis que les photos jaunissent…

C’est au printemps que renaît le désir de retrouver ces impressions de jeunesse. Il y a un risque : celui que la magie n’opère plus, que le lieu ait changé ou que j’ai moi-même trop changé. Mais l’air y est doux, les ruelles plus calmes et les somptueux costumes ont laissé place aux vêtements de la vie courante. Si mon regard est différent, la fascination demeure, prenant le temps de découvrir, de contempler. Les surprises sont au rendez-vous presque à chaque coin de rue. Je marche au grès de l’intuition. Dans ces dédales, il n’est pas rare de déboucher sur un canal qui offre une vision surréaliste tandis que la plus étroite des calli (ruelles étroites) peut déboucher sur un trésor d’architecture. L’exploration est inlassable, surprenante, réjouissante…

C’est peut-être en été qu’explosent le mieux les mille contrastes de cette ville où s’unissent dans une parfaite harmonie l’eau et la terre, la force et la fragilité, l’ombre et le soleil, le courage et le plaisir de vivre, le brouhaha joyeux et le silence, la majesté et la simplicité. Certains lieux deviennent familiers ; ils m’appellent à chacun de mes retours dans la lagune exerçant un véritable envoûtement : le sestiere Dorsoduro, la Fenice, le squero de San Trovaso ou encore les Zattere qui offrent une vision sur le Canal de la Giudecca dont je n’arrive pas à me lasser à toute heure du jour ou de la nuit. Mon histoire personnelle, avec ses anecdotes et ses souvenirs, vient écrire ses lignes minuscules dans l’histoire séculaire de la lagune.

Mais c’est bien souvent en automne que j’y trouve la plus belle consolation à toutes les déceptions de la vie. Il suffit de regarder autour de soi pour être émerveillé par les plus infimes détails. Cette puissance créatrice qui traverse le temps, mêlée à un certain art de vivre, m’apporte un immense réconfort et me redonne foi en l’être humain. J’écris mon amour de Venise au fil des saisons, car il illumine ma vie de sa beauté.

*Clin d’oeil, au passage, à Venise est un poisson de Tiziano Scarpa