Suzane, performeuse pop

Suzane, performeuse pop

Vous aimez Jacques Brel ? Vous aimez Daft Punk (snifff…) ? Vous devriez kiffer Suzane. La chanteuse débarque le 4 mars prochain à Nice, affublée de son fameux costume bleu, pour un concert en streaming depuis le Musée des Arts Asiatiques, organisé par le Festival Crossover.

Effectivement, dit comme ça, ça peut paraître bizarre… Mais, oui les amis, la jeune femme est parvenue à rassembler au sein du même concept musical la verve gouailleuse du poète belge et les rythmes synthétiques de l’ex-duo casqué (re-snifff…). Celle qui s’est fait connaître du grand public il y a un peu moins de trois ans avec son cocktail mêlant la scansion des grands chanteurs à texte et la frontalité du rap sur fond de musique électro, a ravi en 2020 le titre de « Révélation de scène » aux Victoires de la musique. Artiste la plus programmée dans les festivals d’été en 2019, elle a pourtant dû se serrer la ceinture ces derniers mois et faire le deuil du live, au moins pour un temps.

Alors, elle n’allait pas refuser de se produire entre les murs du Musée des Arts Asisatiques de Nice, dont le bâtiment a été pensé par le père de l’architecture japonaise, Kenzo Tange. Elle, la danseuse de formation, ne pouvait refuser ce challenge d’un concert, certes sans public, mais au milieu d’un corpus d’oeuvres d’art. Une performance en soit…

C’est le Festival Crossover — reporté du printemps à septembre prochain — qui est à l’origine de ce rendez-vous. Mettant traditionnellement à l’honneur le métissage musical, culturel, social et géographique, le Crossover, créé par l’association Panda Events, a investi depuis plus de 10 ans des lieux atypiques et inédits de l’agglomération niçoise (les anciens abattoirs, l’Opéra, la Colline du Château, la Villa Arson, la Chapelle de la Providence, le Théâtre de Verdure). Rien de surprenant donc à le voir convier une artiste comme Suzane à déambuler au sein d’un musée pour un concert 100% digital à découvrir le jeudi 4 mars à 19h, sur la page FB du festival et de ses partenaires… dont La Strada fait partie ! Nous avons eu l’opportunité d’échanger quelques mots avec l’artiste française à quelques jours de sa venue.

Exercice impossible, pouvez-vous nous présenter votre parcours en quelques mots pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ? Je crois que vous avez pas mal galéré pour en arriver là…

Effectivement, c’est compliqué ! Je viens de la région, je suis née pas très loin, à Avignon. J’ai commencé par la danse classique, elle a toujours fait partie de ma vie. En fait, mon premier instrument été le corps. Finalement, j’ai commencé à écrire beaucoup plus tard… On va dire que j’ai mis du temps à ouvrir le rideau ! (rires) J’ai beaucoup travaillé avant, j’ai fait pas mal de petits jobs. Vous savez, c’est un peu l’histoire à l’ancienne : la fille qui quitte le sud pour aller à Paris et qui finalement vit son rêve. Eh bien, moi, je le projetais un peu comme ça quand je fantasmais tout ça. Puis c’est réellement arrivé, avec beaucoup de patience, beaucoup de travail, et un petit peu de chance aussi. Aujourd’hui, j’ai la chance de me lever le matin, d’écrire des chansons, de faire des albums, des concerts, enfin quand j’en avais encore l’occasion… On peut dire, malgré le contexte, que je vis la meilleure période de ma vie !

Ce n’est pas toujours évident de se montrer engagé dans la pop française. Pourtant, vos combats sont nombreux : droits des femmes, sexualité, écologie…

Pour moi, ça paraît évident de transmettre ce type de messages. C’est assez naturel dans ma manière d’aller choisir des thématiques pour écrire. Je pense qu’aujourd’hui, on est spectateur d’un monde très violent. Du coup, j’ai l’impression de devoir raconter tout ça. Et personnellement, je me défais un petit peu de toutes ces angoisses en les rencontrant et en racontant ce monde dans lequel je vis. Quand je parle de l’homophobie, du harcèlement des femmes, du réchauffement climatique, ce sont vraiment des choses que je n’invente pas malheureusement. Ce sont des choses qui existent et qui existaient déjà dans le « monde d’avant ». Je pense qu’aujourd’hui, la pop ne peut pas rester qu’édulcorée, elle est censée parler au peuple. Et ce peuple, dont je fais partie, vit aujourd’hui des choses compliquées. J’ai envie de me reconnaître dans les chansons que je suis en train de raconter tout simplement. Attention, je ne dis pas qu’il faille faire des musiques uniquement frontales, engagées, qui remuent un peu, mais c’est ma manière de faire les choses. Pour moi, il est naturel d’aller raconter ce que je vois, ce que je vis, d’aller décrire, dénoncer… Je sais que mes chansons ne vont pas changer le monde, mais si elles permettent de fédérer quelques personnes autour du même message, ça me va.

La tradition de la chanson française engagée est quelque chose qui vous touche particulièrement, j’imagine…

Complètement, j’ai beaucoup écouté de chanson française quand j’ai commencé à vraiment écouter de la musique, même si ma formation musicale s’est quand même beaucoup faite au conservatoire. J’ai écouté énormément de classique (Bach, Ravel, Chopin…), je pense que je les ai tous « faits » en cours d’histoire de la musique et de la danse. Mais la première fois que j’ai écouté des paroles, des gens chanter sur des instruments, c’était Jacques Brel, Édith Piaf, Barbara… Alors c’est vrai que ces gens-là, ces chanteurs à l’ancienne comme on dit, je ne vis pas dans leur époque, mais grâce à leurs mots, j’avais l’impression de pouvoir m’y projeter. C’est vraiment ça que j’ai trouvé intéressant : le fait qu’ils décrivent leur vie, leurs amours, leur quotidien, leur époque, et qu’en même temps, on arrive presque à s’y voir. Puis j’aime la diction, notamment celle de Brel. Je trouve que c’est quelque chose qu’on perd beaucoup aujourd’hui d’avoir une diction précise. On l’entend encore chez quelques chanteurs français comme Eddy de Pretto, mais je trouve que ça se perd. Personnellement, j’essaie au maximum de défendre cette langue française. Je suis toujours très fier quand je suis à l’étranger, en Chine, en Mongolie, en Allemagne, ou en Pologne, et qu’on me dise : « Quelle chance d’avoir une si belle langue ! ». C’est naturel pour moi d’écrire en français, c’est ma langue maternelle, car j’aime raconter des histoires et c’est important qu’on puisse me comprendre.

Justement, sur les différents réseaux sociaux, il est inscrit en introduction de votre profil : “conteuses d’histoires vraies sur fond d’électro”. C’est comme cela que vous vous définissez en tant qu’artiste ?

Effectivement, on me demande très souvent de me définir, et je trouve que ces quelques mots me résument bien. Je raconte des histoires, j’ai tendance à beaucoup écrire sur des personnages, des gens que je rencontre dans la vie. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire d’ailleurs au départ, notamment sur les morceaux L’insatisfait ou Monsieur Pomme… La plupart des personnages qu’on retrouve dans cet album Toï Toï sont issus de vraies rencontres, de mon quotidien. J’ai toujours cette même anecdote qui me vient, celle d’un mec qui vient me voir en fin de concert et qui me dit : « Ce sont mes potes qui m’ont amené ici, je ne vous connaissais pas du tout. J’étais en train de danser et tout d’un coup, je me suis reconnue dans vos paroles. » Je crois d’ailleurs que c’était L’insatisfait… Du coup, j’ai trouvé ça sympa de me dire qu’on pouvait danser, lâcher prise, et en même temps raconter notre société, chroniquer notre quotidien, me raconter. Ça m’a tellement marqué…

Vous dites que c’est le quotidien qui vous inspire, et celui des 12 derniers mois a été compliqué. Comment avez-vous vécu cette période singulière ?

C’est une période tellement compliquée, notamment pour se projeter dans l’avenir. Je pense à moi, mais je pense surtout à toute la jeunesse… Vivre ses premières fois, s’imaginer un avenir dans ce monde-là, ne doit pas être évident ! C’est vrai que cette année a été spéciale, bipolaire je dirais même, parce qu’il m’est arrivé de grandes choses et en même temps de gros ralentissements. Je n’ai pas pu monter sur scène, je n’ai pas pu rencontrer les milliers de personnes que j’aurai dû voir en live, dont certains m’auraient peut-être suivi par la suite, auraient pris le temps de découvrir ma musique… Ce n’est pas facile de se dire qu’on doit évoluer dans ce contexte. Ma manière de rester positive, c’est de continuer à écrire ; ce que j’ai fait d’ailleurs sur cette réédition où je dis que j’ai l’impression d’être dans un épisode de Black Mirror (ndlr : morceau Le monde d’après). C’est assez angoissant… Il y a des jours où l’on se dit qu’on a envie de tout arrêter, que de toute façon les concerts ne reprendront pas, de se défaire de ce côté artistique, quand on voit ce que certaines personnes peuvent vivre en ce moment. C’est long, c’est long pour nous tous, mais je pense qu’il ne faut pas être dans le déni, parce que tout ça abîme notre santé mentale… Au début, il pouvait y avoir quelque chose d’amusant, de décalé ; on s’est dit qu’on allait faire des Lives Stream, on a essayé de te donner de la joie malgré tout… Mais aujourd’hui, force est de reconnaître que mentalement c’est difficile pour tout le monde. Je me dis que, dans une vie que j’apprécie, en faisant quelque chose que j’aime, j’arrive à être triste parfois en me levant, qu’est-ce que ça doit être pour les gens qui ont des vrais soucis, qui galèrent au quotidien ?! Et nous artistes, nous ne sommes même pas là pour donner un peu de plaisir à ces gens. Souvent, quand on est mal, c’est avec un bon concert, un spectacle, c’est en allant faire la fête avec quelques potes dans un bar, en écoutant de la musique un peu forte, en allant au ciné, qu’on arrive un petit peu à mettre de côté nos soucis… Je me dis que les artistes sont un peu un lexomil naturel. Mais on coûte moins cher à la sécu ! (rires)

Dans quelques jours, vous serez justement en concert au Musée des Arts Asiatiques de Nice. Que pensez-vous de ce type de rendez-vous ?

Je vous avoue que j’ai accepté ce concert à Nice parce que j’avais très envie d’allier musique et musées, qui eux aussi sont fermés en ce moment. J’ai trouvé ça important de refaire découvrir un lieu de ce genre. Je pense d’ailleurs que si on m’avait proposé un simple concert filmé sur une scène « classique », j’aurais probablement dit non. Par contre, aller dans un lieu qui est actuellement fermé, le faire vivre toute une journée, pour créer un contenu et divertir les gens, là ça m’intéresse. Même si ça va être dur, je ne vais pas le cacher. J’ai énormément de mal quand je n’ai pas de public en face de moi. Il n’y a pas de chaleur humaine, il n’y a pas des gens qui réagissent en face de toi, il manque ce lien physique. Ce ne sera jamais un vrai concert, mais on est dans une période de résistance. Il ne faut pas faire des Lives Stream dans tous les sens, il faut avoir des vraies raisons de le faire, et je crois que cette date à Nice n’en manque pas.

Vous, qui êtes danseuse de formation, devez probablement voir cette date dans un musée comme une sorte de « performance » ?

Complètement ! Ça va être une expérience unique, ce sera une première pour moi. Je vais découvrir le lieu, m’y adapter. C’est un travail que j’aime bien faire, cette relation avec l’espace, les caméras, les œuvres. Ça va être agréable, je pense. J’ai vraiment hâte de danser devant cette caméra, il manquera juste le public en face de moi. Après ça ne remplacera pas un vrai concert, mais il ne faut pas vraiment comparer…

Et au fait, Toï Toï, ça veut dire quoi ?

Ça veut dire bonne chance. C’est quelque chose qu’on se dit beaucoup avant d’entrer sur scène. C’est clairement pour dire « merde », mais c’est un peu plus élégant. (rires) C’est une expression allemande. Et comme je l’ai beaucoup, beaucoup dit, c’est un peu mon grigri. Du coup, pour moi, c’était une évidence de donner ce nom à mon premier album.

PROG’ FESTIVAL CROSSOVER 2021
Vendredi 10 Septembre : HS (Hamza et SCH) / Lorenzo / NTo (live) / Kitchies / Suzane / Mezerg / Brodinski / Oboy / S+C+A+R+R / Jäde / Tobhi et ses compères / Jitter Crew / Andy 4000 / Insolent Lab / Petit Prince
Samedi 11 Septembre : PLK / Polo & Pan (live) / Fakear (live) / Hatik / Vladimir Cauchemar / Aloïse Sauvage / Ninety’s Story / Killian Alaari / Euteïka / Michel / LB aka Labat (live)

(photos : Suzane © Liswaya)