Marc Monnet : un dernier printemps

Marc Monnet : un dernier printemps

À l’aube du 4e week-end du Printemps des Arts de Monte-Carlo, qui se tient jusqu’au 11 avril dans un contexte des plus compliqués, nous avons échangé quelques mots avec Marc Monnet. Le directeur artistique célèbre son ultime « Printemps » avant de laisser les reines à son successeur, Bruno Mantovani.

Cela fait deux décennies que Marc Monnet occupe le poste de directeur artistique du Printemps des Arts de Monte-Carlo. Deux décennies qu’il s’est donné pour objectif de conquérir encore et toujours de nouveaux publics, notamment les jeunes, en abolissant les frontières entre les répertoires et les époques de la musique et en proposant des « fils rouges » pour rendre plus lisible la gargantuesque programmation de l’événement monégasque. Il a tenu bon la barre de ce paquebot qu’est le Printemps des Arts, que sont tous les grands festivals, avec de grandes réussites et quelques échecs probablement. Il a réussi à tracer une voie qui peut parfois se révéler difficile à suivre : celle de proposer plus que simples concerts, des expériences musicales, parfois incongrues, dans des lieux parfois étranges (parking, tunnel, chapiteau…) pour un public habitué à entendre de la musique classique et de la musique contemporaine dans les lieux qui leur sont traditionnellement dédiés (salle de concert, théâtre, église…).

Depuis maintenant deux éditions, la situation sanitaire a fait vivre à Marc Monnet et ses équipes des moments compliqués, des moments de doutes. Et si l’édition 2020 a dû être annulée quelques jours seulement avant son lancement, il n’était pas question d’avorter celui qui serait son ultime Printemps des Arts !

Le festival fait figure d’exception dans le paysage culturel de la région, voire de l’Hexagone… Comment, dans le contexte si particulier de cette crise sanitaire, se sont déroulés les trois premiers week-ends du Printemps des Arts ?

Mieux que je ne l’espérais ! Ma crainte principale, c’était évidemment la quantité de public, surtout avec le confinement côté français… D’autant plus qu’une grande partie de notre public vient de France. On s’est aperçu finalement que pas mal d’entre eux trichaient pour nous ! Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts, mais je le sais, car j’ai reconnu et démasqué quelques habitués. (rires) Depuis cette semaine, on a également la chance que le Gouvernement monégasque ait pris la décision que toute personne munie d’un billet pouvait entrer dans Monaco. Il existe en effet un petit « conflit » entre les autorités françaises et monégasques, car si la Principauté est très franchement stricte au niveau sanitaire, elle n’a pas du tout la même politique que la France sur d’autres domaines. Par exemple, les restaurants sont ouverts le midi. On vous prend la température, on dispose les tables à distance raisonnable… Et il s’avère qu’il n’y a pas plus de cas de Covid ici. Les deux États ne voient pas les choses de la même façon. Donc, pour nous, ça se passe plutôt bien !

J’imagine que la réorganisation de la programmation, présentée initialement en octobre dernier, a dû être un véritable casse-tête ?

Oui, ce fut assez rocambolesque ! Comme le couvre-feu est tombé à 18h sur la France, et à 19h sur Monaco, sans compter le confinement des Alpes-Maritimes qui est arrivé par la suite, on ne pouvait plus proposer de concerts le soir. On ne pouvait pas non plus faire de concert un jeudi à 15h, ça n’aurait jamais marché. On a donc choisi de tout condenser sur le samedi et le dimanche, en finissant les concerts à 17h. Et ça fonctionne plutôt bien comme ça. Pour nous, ça change aussi la vie, parce qu’on est libre le soir, ce dont nous n’avons pas l’habitude ! Bien sûr, ça a demandé une énorme réorganisation. Et malheureusement, tout ce qui était « festif » — le Voyage Surprise, les rencontres, les cocktails… — a été rendu impossible. Le festival a dû s’adapter, donc on est un peu « différent » cette année.

Le public a déjà pu entendre des concerts dédiés à l’École de Vienne et à Franz Lizst. On attaque ce week-end avec les concerts de musique française et de clavecin. Que pourra-t-on entendre ?

Ce 4e week-end fera preuve d’une grande diversité ! On commence par une formation importante : l’Orchestre Les Siècles, accompagné pour l’occasion par Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou et Vincent Lhermet, dans un programme sur l’École de Vienne. Il y aura aussi une création de Gérard Pesson (voir vidéo ci-dessous). Le dimanche, on aura deux récitals de piano : un sur la musique française avec Anne Piboule, qu’on devait déjà faire l’année dernière, un autre avec Marie Vermeulin et une création de Marcos Stroppa. Le lundi de Pâques, on aura un des trois récitals de clavecin sur la musique française programmé dans le festival, avec Pierre Hantaï. Les deux autres ayant lieu le dernier week-end. Puis on terminera, avec Bibilolo, la pièce dont j’ai fait la musique.

Bibilolo, quel drôle de nom ! Racontez-nous cette œuvre singulière, désignée comme un « Opéra de chambre pour objets manipulés et claviers électroniques » ?

Alors déjà, quand je dis, j’ai fait la musique de Bibilolo, ce n’est pas tout à fait vrai. Puisque la musique était pré-existante. C’est Arno Fabre qui a monté ce spectacle sur une musique que j’ai créé il y a une vingtaine d’années. Il a imaginé un spectacle très ludique, que je trouve vraiment intéressant, hyper inventif, autour duquel on proposera, je crois, quatre animations pour les jeunes. C’est un spectacle très imaginatif, qui est accessible à tous les publics, de 7 à 77 ans, comme on dit parfois. C’est-à-dire qu’il n’y pas besoin de connaissances particulières en musique. Il y a énormément de scènes, avec des tas d’objets, des marionnettes… Il y a plein de choses… En fait, c’est difficile de vous raconter, parce que ce n’est pas racontable ! (rires) J’aime beaucoup le travail qu’a fait Arno Fabre.

On conclura le festival avec Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dirigé par Gergely Madaras, et le pianiste Ivo Kahánek. Comme à son habitude, le Printemps des Arts défrichera le terrain musical, puisque vous présenterez des partitions pour piano et orchestre de Franz Liszt presque inconnues du public mélomane…

Oui, ce sera l’un des deux concerts pour grand orchestre qu’on aura finalement eus sur le festival cette année (ndlr : l’Orchestre National de France et le Choeur de la Radio Lettone ont dû annuler leurs venues). La semaine dernière, on a même joué une pièce pour très grand orchestre, puisque la pièce de Schönberg, Pelléas et Mélisande, c’est 110 musiciens sur scène. Le Grimaldi Forum était plein ! Concernant ce second concert, vous savez, malheureusement, dans les programmations, on est souvent assez conventionnel. Et dans notre région, on l’est un peu plus qu’ailleurs… Donc on joue toujours un petit peu la même chose. Si on avait décidé de jouer les concertos pour piano n°1 et n°2 de Liszt, par exemple… Eh bien, vous les entendez presque tout le temps ! Là, j’ai essayé de montrer des portraits de Liszt qu’on ne connaît pas. On avait déjà commencé le premier week-end du festival avec toutes ses pièces de « la fin », qui sont très étonnantes, d’une modernité invraisemblable ! Lors de ce 5e weekend, on a programmé ces pièces pour piano et orchestre qu’on ne joue quasiment jamais, ou du moins très rarement. Je crois d’ailleurs qu’on ne les a jamais joués dans la région. Je pense que c’est important pour le public de découvrir ces pièces qui sont vraiment intéressantes. Mais vous savez, ce sont des modes. C’est comme les symphonies de Beethoven, on fait toujours les mêmes… Alors que Beethoven, c’est énorme ce qu’il a fait comme travail ! Il y a bien d’autres choses qu’on ne joue pas. Donc, moi, j’essaie de sortir de ces modes et d’intéresser, de captiver le public sur des choses nouvelles.

Faire découvrir de nouvelles choses… Cela fait partie des missions que vous vous étiez fixées à votre arrivée, il y a 20 ans, à la tête du festival. Un festival que vous quitterez à la fin de cette édition. Quel bilan tirez-vous de ces deux décennies ?

Par rapport à ce que j’avais présenté à l’époque comme projet à la Princesse, qui est Présidente de notre festival, je suis exactement dans les rails. C’est assez étrange d’ailleurs, parce que je ne l’ai relu que très récemment ! Je ne me penchais pas chaque année dessus pour me rappeler ce que j’avais mis à l’intérieur. Non, pas du tout… Tout ce que j’avais prévu de faire (élargissement du public, politique de prix raisonnable, diversité des répertoires, travail vers les jeunes…), on l’a fait et on continue de le faire. Ce bilan est ce qui me semble juste pour un festival, voire pour une politique musicale ou artistique. En fait, c’est ce qu’on devrait faire partout ! On me dit souvent dans les interviews : « Votre travail est quand même assez étonnant, assez extraordinaire, assez exceptionnel ! » Je leur réponds, non. Mon travail est normal, je ne fais pas quelque chose d’exceptionnel. C’est ce qu’il se passe ailleurs qui n’est peut-être pas extraordinaire… (rires) J’essaie d’être à l’écoute du public. Je ne fais pas dans la démagogie en disant « je vais faire ce que le public attend. » Je dirais même : au contraire ! (rires) Mais le public vous crédite. On a un public fidèle maintenant, qui vous crédite de le prendre au sérieux finalement, et de ne pas le prendre pour quelqu’un de superficiel à qui on va donner toujours la même chose. Je pense que le soutien de Monaco, en termes de politique culturel, est tout à fait évident et y est aussi pour quelque chose. La Culture représente tout de même 5% du budget de l’État ! Cinq fois plus qu’en France !

Comment voyez-vous votre avenir ? En France justement ?

Je vais arrêter à la fin de cette édition, à la fin du mois d’avril. C’est ma décision, et j’en suis très heureux. Je pense que j’ai fait le tour des choses, et qu’il faut donner à d’autres « le bébé ». C’est Bruno Mantovani qui va me succéder. Je le connais très bien, c’est un compositeur très actif, qui va, je pense, travailler dans la même lignée. Personnellement, je vais désormais me consacrer à la composition. Je ne veux pas prendre de nouveau poste, j’ai assez donné ! (rires) Maintenant, place au plaisir et à la liberté…

Lorsque nous nous sommes entretenus avec Marc Monnet, le Président Macron n’avait pas encore annoncé le pseudo reconfinement généralisé qui touchait déjà les Alpes-Maritimes, département frontalier de la Principauté de Monaco, depuis quelques semaines. Par conséquent, le public varois, et les quelques mélomanes français venus d’encore plus loin, risquent fort de ne pas prendre le risque de faire le déplacement jusqu’au Rocher pour assister à un concert. Souhaitons toute de même à Marc Monnet le meilleur pour la suite, et au Printemps des Arts, l’un des rares événements culturels du territoire (si ce n’est le seul, désormais) à avoir tenu contre vents et marées, le succès qu’il mérite.

PROGRAMME PRINTEMPS DES ARTS 2021

Samedi 3 avril. 15h. Auditorium Rainer III
Kit Armstrong (piano), Renaud Capuçon (violon), Vincent Lhermet (accordéon), Orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth (direction)
Gérard Pesson (création), Alban Berg, Johannes Brahms/Arnold Schönberg

Dimanche 4 avril. 14h30. Opéra Garnier
Aline Piboule (piano)
Gustave Samazeuilh, Pierre-Octave Ferroud, Abel Decaux, Louis Aubert
Marie Vermeulin (piano)
Franz Liszt, Arnold Schönberg, Marco Stroppa (création)

Lundi 5 avril. 14h30. Musée océanographique
Pierre Hantaï (clavecin)
Louis Couperin, Jean-Philippe Rameau, François Couperin, Antoine Forqueray, Jacques Duphly, Claude Balbastre
16h. Théâtre des Variétés
Arno Fabre (Théâtre musical)
Bibilolo

Samedi 10 avril. 14h30. Musée océanographique
Olivier Baumont (clavecin)
Jacques Champion de Chambonnières, Louis Couperin, François Couperin, Jean-Philippe Rameau, Claude Balbastre
16h. Salle Empire, Hôtel de Paris
Andreas Staier (clavecin)
Jean-Henri d’Anglebert, François Couperin, Antoine Forqueray

Dimanche 11 avril. 15h. Auditorium Rainer III
Ivo Kahánek (piano), Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Gergely Madaras (direction)
Franz Liszt

Plus d’infos : printempsdesarts.mc

(photo Une : Marc Monnet, lors de la présentation de cette édition 2021 © Direction de la communication, Monaco)