Sébastien Reuzé : Journal du Train des Pignes

Sébastien Reuzé : Journal du Train des Pignes

C’est le titre d’un projet artistique de Sébastien Reuzé, produit par Botox(s). L’artiste met en place, sur le réseau du légendaire Train de Pignes, un concept d’information, une lecture poétique du territoire sur le réseau social Instagram, et un système d’affichage en forme d’exposition dans toutes les gares du réseau.

S’il étend le champ d’action de Botox(s), ce projet renforce aussi le lien historique établi entre Digne et Nice grâce à ce réseau ferroviaire. C’est aussi une manière de démontrer l’importance du lien social et les différentes manières de le concevoir : le lien physique par la photographie et l’affiche, le lien entre l’édition papier et internet, le lien entre les populations des gares, mais aussi le lien avec la nature et sa magnificence. C’est l’affirmation du caractère essentiel du lien social que notre Président a malheureusement nié depuis un bon moment.

Botox(s), réseau d’art contemporain

Le réseau Botox(s) est né de la volonté de mieux faire connaître l’art contemporain en rendant plus visibles les initiatives et les choix des 30 structures adhérentes qui le composent. Fondé en 2007, la vitalité de ce réseau vient de la nature différente de ses adhérents : centres d’art, galeries, lieux privés, associations, collectifs d’artistes, maisons d’édition, musées… Au travers des lieux d’expositions, des programmations, des divers événements de ses membres (performances, conférences, lectures, rencontres-débats…) et des projets du réseau, BOTOX[S] dresse une cartographie de la production artistique sur le territoire maralpin.

Ainsi son périmètre d’action s’est étendu vers les Alpes du Sud et la Ligurie, et couvre désormais le territoire Alpes et Riviera avec ce Journal du Train des Pignes. Car si le train est un lien historique qui unit Nice à Digne, ce projet le renforce encore plus et offre au visiteur la possibilité de (re)découvrir la richesse et la dynamique artistique de cette vallée.

Carte du Journal Du Train Des Pignes © Sébastien Reuzé 2020-2021

Le projet artistique

Le Journal du Train des Pignes est le titre d’une intervention artistique dans l’espace public qui se déploie selon deux protocoles complémentaires : d’une part, @journaldutraindespignes, publié sur le réseau social lnstagram, et d’autre part, des photographies installées sur des éléments d’architecture le long du parcours du train par une sorte de système d’affichage. Ainsi le journal couvrira deux champs : la publication du travail photographique et la diffusion d’informations locales devenant ainsi accessibles à un public très large.

Le travail photographique proposé par l’artiste Sébastien Reuzé est la « remontée d’une rivière symbolique vers l’origine », la source de la mémoire. C’est une interprétation libre et personnelle du roman de JG Ballard intitulé Le Jour de la Création. Les clichés de Sébastien Reuzé, relecture des symboles abordés dans ce roman, suivent le trajet du train avec pour sujet principal, la Rivière que nous remontons dont le lit et le débit se réduisent à mesure que nous avançons vers sa source. Au terme du parcours, nous parvenons à un suintement liquide initial émanant directement de la roche. Ce cour d’eau fictif place l’œuvre photographique dans un espace et une temporalité indéterminés, un climat de contemplation hallucinée qui intègre clairement des éléments du présent, tels qu’ils existent aux abords du trajet du train. Ces éléments fonctionnent comme autant de jalons vers une remontée de la mémoire. Les paysages, eux, semblent émaner d’un monde de fantasme.

Le journal a également pour fonction de faire connaître des informations relatives à l’activité des communes desservies par le train. Un bal à Saint-André-les-Alpes, un marché à Digne-les-Bains, un concert à Plan-du-Var, un vide-grenier à Barrême, une fête à Méailles… Autant d’évènements pour tous les publics qui peuvent être communiqués afin de créer un lien social et culturel dont le train est le vecteur et le symbole, trait d’union entre les Alpes de Haute-Provence, les vallées et la Côte d’Azur.

Au fil de la page déroulante d’Instagram dont le principe de défilement est chronologique, les photographies se succéderont, en alternance avec les informations locales. Le journal sera alimenté pendant les trois mois que durera le projet. Pour faire connaître aux usagers l’existence et l’accessibilité du journal, un autocollant a été créé, indiquant : @journaldutraindespignes, suivi du QR-Code ci-dessous. Il est collé sur les vitres du train et mis à disposition du public.

Scannez ce QR Code pour accéder gratuitement au Journal du Train des Pignes sur @Instagram

Rencontre avec Sébastien Reuzé

Un projet en forme de système d’information structuré par une idée poétique était suffisamment atypique pour attirer notre attention. Ce lien entre nature, information imprimée et réseau social est exactement la problématique de notre publication, et le point de vue de Sébastien Reuzé n’en était que plus pertinent pour tous ceux qui s’intéressent à ce qui nous entoure, à l’arrière-pays, à l’édition papier, aux réseaux sociaux et à… La Strada ! Nous l’avons rencontré.

Pouvez-vous nous éclairer sur la genèse du projet ?

L’arrière-pays, c’est un espace que j’ai beaucoup pratiqué, déjà quand j’étais gamin, et ça m’a toujours fasciné. C’est ce que je vais raconter, comme une fiction personnelle dans le texte qui va s’écrire sur Instagram. (…)

Mon père est mort à 49 ans du SIDA, le résultat de toute une période qu’on a vécu précédemment, la difficulté de faire admettre l’homosexualité, et donc toute la dureté à laquelle on doit se confronter ici… 10 ans après son décès, on a déplacé le corps depuis le funérarium de la Vallée du Var vers Jausiers, le village avec lequel on avait une attache. Ce jour-là je revenais de Bruxelles. Il faisait très froid, très gris, très sombre… C’était l’automne, et j’ai dit à ma mère : « Sors du cortège, il ne nous en voudra pas. » Et dans les rayons du soleil, on a pris un café en contemplant les couleurs des montagnes… C’était “splendidissime“, c’était vraiment irréel tellement c’était beau ! Ce jour-là, j’ai perçu mon ancrage profond et l’ancrage profond de cette beauté… J’ai beaucoup pratiqué la montagne, j’ai beaucoup fait de ski, j’ai beaucoup été dans cet arrière-pays, et je trouve que le Train des Pignes, c’est un objet diiiingue ! C’est une maquette dans un paysage époustouflant. En fait, c’est ça la naissance du Journal du Train des Pignes. C’est dire : voilà, un jour je parlerai de cet ancrage, de cette fascination, et de ces différentes émotions que j’associe à la fréquentation de ces régions et de ces paysages. (…)

J’ai eu la chance de découvrir l’art grâce à une personne qui a été essentielle pour moi, et qui l’est toujours. C’est Michèle Brun, qui a participé à la création du MAMAC à Nice. Quand j’avais 18 ans, c’était la mère de ma petite amie, elle m’a amené au Musée, elle m’a montré ce qu’était un Tinguely pour la première fois de ma vie… Ces œuvres m’ont marqué à vie… Et c’est ainsi que pour moi a démarré ce rapport à l’art. Elle l’a fait parce qu’elle voyait que j’avais une sensibilité pour ça, mais pas de connaissances. Alors quand j’ai voulu travailler sur la quête des origines, cette remontée vers la naissance de la mémoire, vers une forme mythologique qui intègre l’Odyssée, qui intègre tout ça, j’ai pensé à travailler au Laos parce que Coppola y avait tourné Apocalypse Now. En fait, ça s’inspire au départ de Au cœur des ténèbres de Conrad. J’ai étudié la question, et chaque fois mon esprit revenait ici, vers cet arrière-pays. Je ne voyais pas trop pourquoi. En fait, si ! Je voyais pourquoi, mais je ne voyais pas trop comment. Et puis j’ai travaillé sur le Congo, sur l’Amazone… Et à chaque fois, ce qui revenait, c’était l’arrière-pays ! Puis un jour, par hasard, j’ai ouvert mes spams, ces messages jetés, indésirables, et j’ai lu un truc qui diffuse des informations pour des résidences. Le genre de choses que je n’ouvrais jamais… Pourquoi est-ce qu’à ce moment-là je regarde ce truc ? Je le vois dans la ligne de mes mails. Je vois, marqué en petit : Train des pignes. Et là je me dis : “ça, c’est pour moi“. J’ai donc emboîté mon projet à celui-là, mais aussi parce que j’ai cette connaissance de cet arrière-pays. Et je sais bien que le train est un lien, même si les gens ne se parlent pas forcément d’un endroit à l’autre de la ligne.

Pourquoi un journal ?

Parce que c’est un outil qui permet beaucoup de choses. Souvent les travaux photographiques sont très segmentés. La photographie est une discipline qui est souvent envisagée par les artistes comme la seule discipline qu’ils vont utiliser pour créer. Mais moi je pense que c’est quelque chose qui doit être explosé ! Que les différentes parties, les différents styles, les différentes questions qu’on aborde, toutes ces frontières qui marquent, qui segmentent la discipline doivent être abolies pour que la photographie se rapproche en quelque sorte de la vie, pas seulement qu’elle la montre. Le Journal du Train des Pignes, c’est ça… (…)

J’ai déjà fait un journal par le passé, en Bretagne, dans village où ma famille, du côté maternel, était très implantée jadis. Il y avait une dame qui avait rouvert un café, alors que le village se désertifiait, qui s’appelait Le Night… J’ai trouvé ça dingue. Quand j’y suis entré, les murs étaient métallisés, il y avait un peu une atmosphère de bureau, tandis que dans une autre pièce, il y avait des murs de brique. Ça me rappelait le film Le beau Serge, parce qu’il rentre dans la chambre et « tatatannnnn » : à un moment donné on voit un mur de parpaings … J’ai demandé à la dame si elle accepterait de faire une exposition dans son bar et que celle-ci consiste en une feuille A3 en photocopie noir et blanc, recto verso, qui, 5 jours par semaine, pendant trois mois, serait déposée par le centre d’art. J’ai donc créé, sur la base d’un autre journal que j’avais fait avec un ami, un avatar qui est à la fois : un personnage fictif et une maison d’édition. C’est dans ce cadre qu’on a créé ces journaux. Ce journal qui s’appelle Le Morning, il a une vie ! Car ensuite, je lui ai donné une forme papier, une vie à laquelle je ne me serais jamais attendu, extraordinaire… Il continue de circuler aujourd’hui, d’être distribué… Il ressort… Ou j’ai l’occasion de le ressortir régulièrement à mon grand étonnement, c’est quelque chose de très riche (cf. sebastienreuze.net/Editions).

Ce format est aussi une sorte d’engagement…

Oui, j’ai vraiment trouvé cette forme intéressante. On peut y injecter beaucoup de choses, on est très libre dans le travail. D’ailleurs, on va parler de littérature, on va mettre des films… Là, je vais poster le travail d’un peintre amateur qui exposait dans la gare du train des pignes de Nice. C’est important ça, de montrer que cet art est là, qu’il existe, qu’il a aussi des raisons d’être diffusé dans la mesure où le mec y peint juste parce que ça lui fait plaisir, et qu’il n’y a pas vraiment d’autres enjeux. Ça, c’est vraiment génial, c’est juste pour l’amour de la peinture. C’est ça, le journal du Train des pignes !
C’est un geste politique qui n’est peut-être pas exceptionnel, dans sa forme, dans son engagement, mais ça je n’en sais rien, ce n’est pas à moi de juger. Mais je veux que les questions que l’on pose dans les centres d’art, dans les musées, dans les revues spécialisées, etc., soient accessibles à tous, et qu’on aille vers les gens. Parce qu’on peut créer des événements et attendre que les gens viennent ! Mais si on ne parle pas la « langue » du pays, les gens ne nous comprennent pas… Ça ne veut pas dire abaisser la qualité des choses, ça veut dire repenser peut-être la manière dont on pense les choses, pour aller vers les gens, et pour partager…

Les Chemins de Fer de Provence…
Une escapade dans un train mythique à travers les somptueux paysages des villages de l’Arrière-Pays. Les Chemins de fer de Provence et son Train des Pignes, c’est un réseau ferroviaire d’une longueur de 151 km assurant un service urbain de transports de voyageurs entre Nice et La Vésubie Plan-du-Var, ainsi qu’un service touristique entre Nice et Digne-les-Bains. La concession de la ligne de Nice à Digne a été cédée à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur le 1er janvier 2007, et l’exploitation est assurée par la Régie Régionale des Transports de Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 1er janvier 2014. Elle fait partie intégrante du réseau Zou! depuis 2018. Cette ligne a un triple enjeu : lien historique entre Nice et Digne, mais aussi véritable circuit touristique pour découvrir ce territoire, et enfin, plus récemment, sorte de RER qui permet aux habitants de la vallée de travailler sur les grandes métropoles.
et la légende du Train des Pignes…
Ou devrions-nous dire « les légendes », tant il se raconte d’histoires sur l’origine du nom de Train des Pignes. Certains racontent qu’il viendrait de la suie qui recouvrait les locomotives et les faisait ressembler au fond des marmites niçoises, les pignates. Pour d’autres, il s’agirait d’une référence faite aux pignes que les citadins ramenaient en ville le dimanche ou encore des enfants qui s’amusaient à représenter avec des pignes le train qu’ils voyaient passer. Mais la légende la plus notoire raconte que la vitesse du train à vapeur était si faible qu’elle permettait aux voyageurs de descendre sur les bas-côtés pour ramasser des pignes !

10 juil au 10 oct, ligne Nice-Digne – Train des Pignes. Rens: botoxs.fr

(photo Une : Exposition photo le long du trajet du Train des pignes © Sébastien Reuzé 2020-2021 )