Susie Morgenstern : mes vies en rose

Susie Morgenstern : mes vies en rose

Si je vous dis « Susie Morgenstern« , vous me répondez ? « Reine de l’édition jeunesse, américano-niçoise, lunettes roses en forme de cœur, joie de vivre, amoureuse, généreuse« … Et vous avez raison ! Avec son autobiographie Mes 18 exils, Susie Morgenstern affine encore un peu plus son portrait. Invitée du festival du Livre de Nice en septembre, La Strada a eu le bonheur de partager un moment en sa compagnie, chez elle, à Nice.

Laurence Fey : On vous voit et on vous entend partout en ce moment grâce, notamment, à deux nouveaux ouvrages autobiographiques, Mes 18 exils et La Petite dernière, en version BD. Du coup, on doit vous poser un peu tous les mêmes questions ?

Suzie Morgenstern : Oui et comme je donne un peu les mêmes réponses, j’espère que cela reste intéressant ! Avec le contexte actuel, je craignais les questions sur la judaïté et le sionisme, mais finalement les interviews ont tourné autour de mes sœurs, qui sont effectivement incroyables, de ma famille et de mon parcours. J’ai été très contente d’assister à toutes ces émissions. L’attachée de presse de L’Iconoclaste, l’éditeur de Mes 18 exils, a été particulièrement active et tout était si bien organisé. Voir la couverture du livre créée par Serge Bloch, un vieil ami, est sans cesse un plaisir. Ce dessin portrait existe pourtant depuis plus de 16 ans. D’ailleurs, comme on le voit souvent, je voulais en changer. L’éditeur m’a convaincue de le garder et il a bien fait !

Les journalistes étrangers vous posent-ils le même type de questions que leurs homologues français ?

Je suis surtout interviewée en France et un peu en Belgique ! Et en général, uniquement pour mes livres destinés aux enfants. Habituellement, je n’ai pas une couverture médiatique aussi fournie qu’en ce moment. C’est dommage pour la littérature jeunesse !

Vous êtes toujours présentée comme « la reine » ou « la papesse de la littérature jeunesse » : vous aimez ces qualificatifs ?

Oh, si cela plaît aux enfants et à leurs parents, alors oui !

Votre nom Morgenstern signifie étoile/star du matin ? C’était visiblement un nom prédestiné ?

Plus que ça !  Quand j’étais ado, j’avais dévoré le livre d’Herman Wouk, Marjorie Morningstar. Nathalie Wood a joué dans le film tiré de ce livre (La Fureur d’aimer en français). J’ai donc tellement aimé ce livre que je signais Susie Morningstar sur tous mes cahiers. Et le jour où j’ai vu pour la première fois mon futur mari, de l’autre côté du resto U en Israël, je l’ai aimé tout de suite. Quand il m’a dit son nom, Morgenstern, je n’en revenais pas. Il m’a donné le nom que je m’étais choisi depuis que j’étais jeune…

Le titre, Mes 18 exils, est particulièrement bien trouvé pour une autobiographie. Comment l’idée vous est-elle venue ?

J’ai suivi un stage Animer un atelier d’écriture à Saorge, près de Tende. Cela peut surprendre après avoir écrit plus de 150 livres (!), mais comme il était animé par Virginie Lou-Nony, je m’y suis inscrite. C’est pour moi la meilleure animatrice dans ce domaine, une référence, et c’est aussi une très talentueuse écrivaine, auteure de romans et de livres pour enfants. Elle nous a proposé de travailler sur le mot exil et cela a été une révélation pour moi. Ce mot exil m’a beaucoup guidé et j’ai écrit très rapidement mon autobiographie en déclinant ce mot. Sans ce déclic, je n’aurais sans doute pas rédigé ce livre.

Ce livre est à votre image, pétillant et gourmand, avec sa part de failles et de tristesse forcément. Outre les étapes de votre vie et tous vos souvenirs, la forme du livre surprend agréablement avec ses photos, son alternance de prose et de poèmes.

L’éditeur a mis beaucoup de soin dans sa réalisation, comme pour les autres livres de cette maison d’ailleurs. Je leur ai envoyé plein de photos afin qu’ils fassent une sélection. Côté texte, si j’écris tous les jours mon journal intime, dès le matin, j’ai aussi une autre habitude. Avec mon ami Bernard Friot, enseignant et auteur jeunesse, nous échangeons un poème chaque jour. À tour de rôle, on se donne un mot qui sert de thème. C’est l’un de mes meilleurs moments dans la journée d’écrire ce poème et de lire celui de Bernard. J’écris mon poème en français et en anglais. L’un de mes amis éditeurs va d’ailleurs publier mes poèmes sur les bébés, avec de belles illustrations. Cet échange avec Bernard, c’est quelque chose de gratuit et c’est surtout une très belle façon de cultiver notre amitié.

Vous aviez écrit 28 exils au départ. Quel était le 19e ?

J’avais imaginé une autre forme d’autobiographie à l’origine. Comme un puzzle, avec des cycles. C’était plus complexe, peut-être moins lisible. Avec l’éditeur, nous avons gardé les exils les plus marquants et nous en avons regroupé d’autres. C’est un livre « tout public » et je milite pour cette appellation.

« On meurt tant de fois dans une vie« , avez-vous écrit. Et votre épitaphe est déjà conçue : « Mère, grand-mère, écrivain, elle a fait de grands efforts dans les limites de son possible. A aimé la vie. »

Oui, c’est un résumé de mes exils et j’ai eu le temps d’y penser. Mon mari, un grand mathématicien, était trop jeune quand il est mort. Rien n’était prévu et nous n’avions pas abordé le sujet. Sur la pierre de sa tombe, j’ai fait inscrire « Un Juste ». Et puis je suis retombée sur des textes qu’il avait écrits dans lesquels il se définissait surtout comme « Un scientifique ». J’ai regretté alors l’inscription. C’est pourquoi j’ai déjà choisi la mienne.

Vous êtes d’une franchise déroutante, vous abordez un tas de sujets intimes (règles, masturbation, sexualité, maternité, échecs…), vous vous livrez sans tabou, et cependant vous réussissez à n’être jamais impudique, en restant toujours touchante et drôle.

Je pense qu’on est sur terre pour partager nos secrets. En étant franche, je peux aider quelqu’un ! Je n’écris pas pour mentir. La seule chose que je ne peux pas faire, c’est écrire un livre entier sur ma sœur Sandra, qui est décédée et qui était un sacré personnage. Ses enfants ne le souhaitent pas et je le respecte.

Vous avez dit : « Jacques (mon mari) est le sujet majeur de ma vie… » et aussi « Être amoureux c’est être otage, esclave« .

Même si Jacques était « distant, extraterrestre, dépressif », je l’ai aimé d’un amour fantastique. Je l’attendais en haut de l’escalier de notre maison tous les jours, je guettais sa voiture, je me cachais pour écouter ses cours. Avec mon amoureux Georges, avec lequel j’ai écrit Fleurs tardives, c’est un amour serein, sans tension. Il est veuf, je suis veuve, nous ne vivons pas ensemble, tout est simple. Nous devons nous fiancer pour ses 100 ans !

L’amitié tient également une grande place dans votre vie. Une chose rare et peu évoquée chez les belles-mères (!), l’amitié que vous portez à votre beau-fils Philippe, « mon meilleur ami au monde« , dites-vous.

L’amitié tient effectivement une place énorme et fait partie de l’exil. On s’attache encore plus à l’amitié quand on n’a pas sa famille à proximité. Mon beau-fils Philippe fait partie des personnes à qui j’ai dédicacé Mes 18 exils car notre relation est unique.

L’un de vos grands amis, l’écrivain Daniel Pennac, a confié : « Je la vois et je suis chargé à bloc« . Vous donnez de l’énergie aux autres, notamment grâce à votre autodérision ?

Daniel Pennac, nous étions à la fac ensemble, à Nice. Il a également une maison dans la région. Nous partageons beaucoup de choses et j’étais ravie de participer à La Grande librairie avec lui en mai dernier. Je ris tant que je peux et surtout de moi ! Être exilée, c’est très positif, ça force à re-créer. Avec tout ce que j’ai traversé, je sais à présent qu’on a la force de faire face à tout ce qui arrive dans la vie – deuil, maladie…

Dans Mes 18 exils, vous écrivez « J’aime la France à la folie« . Vous êtes amoureuse de Nice, vous y vivez et vous y avez été professeur d’anglais à l’université de Sophia-Antipolis. Vous aimez toute la région, à l’image de Mouans-Sartoux, « la ville (qui) devient livre« .

À part les conducteurs niçois (!), j’aime ma ville. Nice m’a décerné un Grand Prix. Pierre Aschieri, maire de Mouans-Sartoux, était mon élève chouchou. Chaque année, pendant le Festival du livre de la ville, il vient me voir et on s’embrasse ! L’une de mes filles, Mayah, vit ici. Elle est endocrinologue-diabétologue. Parfois, j’imagine vivre à Paris où habite mon autre fille, Aliyah, l’aînée, professeur à la Sorbonne et plusieurs de mes petits-enfants. Parfois en Israël, où vit ma sœur aînée Effie, qui est si drôle. Mais j’aimerais mourir dans cette maison niçoise, j’y ai vécu avec Jacques…

Enfant, en Amérique, votre rêve était de parler italien. En vivant à Nice, donc proche de l’Italie, avez-vous réalisé ce rêve ?

J’assassine souvent le français alors je n’ai pas eu le cœur d’assassiner aussi l’italien !

L’un des plus beaux jours de votre vie, c’était quand, à propos de votre accent, un enfant vous a défendu en s’écriant « mais elle est de Marseille !« 

J’étais si heureuse ce jour-là ! Et le jour où j’ai acheté un monocle pour Jacques et que sur le sac le vendeur avait écrit for the french lady.  Que je puisse enfin avoir cette identité était un bonheur.

Vous venez de sortir un livre jeunesse Nonna Gnocchi, chez Thierry Magnier, qui se passe en Italie. Toqués de cuisine notamment avait Nice pour cadre.

J’aime beaucoup faire la cuisine même si je n’ai pas assez confiance en moi. Ma petite-fille Emma est une vraie cheffe. J’écris aussi des poèmes sur la nourriture. Je voulais mêler plaisir de la cuisine et plaisir de la lecture. J’ai fait de la cuisine-fiction ! L’histoire met en scène des jumeaux au Negresco. Pour ce livre, j’ai travaillé pendant un an dans la cuisine du Negresco, afin de voir ce qu’il s’y passait, pour traduire au mieux l’ambiance. Le chef Jacques Maximin, référence dans le monde de la cuisine, était alors aux commandes du Chantecler et il m’a communiqué sa passion de la cuisine française, un vrai patrimoine culturel.

Avez-vous envisagé une collaboration avec vos collègues illustrateurs/auteurs du coin, Edmond Baudoin, Joann Sfar, Jacques Ferrandez…

Ça serait bien ! Ça me plairait beaucoup ! La femme d’Edmond, Betty, a été la professeure de danse de mes enfants. Je croise aussi souvent Jacques Ferrandez dans les salons. Pendant nos interventions auprès des scolaires, nous les auteurs intervenons tous dans des classes séparées. C’est dommage, j’aimerais voir comment chacun mène le dialogue avec les enfants. En tous cas, c’est toujours un plaisir de se croiser.

En plus de Mes 18 Exils, de la BD La petite dernière, de Nonna Gnocchi, deux autres ouvrages sont parus.

Dans la série La famille trop d’filles, chez Nathan, le 27e tome vient de sortir. Et dans la série Perla, pour les plus petits, un nouveau titre également : Perla et le mot magique. L’héroïne est un hommage à mon amie et auteure Perla Servan-Schreiber. Et bientôt, à quatre mains avec ma petite-fille Emma, qui a 19 ans et habite avec moi, un livre baptisé La vie en vert, sur l’écologie.

Vous êtes aussi musicienne (contrebassiste), chanteuse (vous avez enregistré des livres CD), actrice (vous avez joué Confessions d’une grosse patate pendant 3 ans)… Et vous êtes également illustratrice !

J’ai même débuté comme illustratrice avant d’être auteure. Actuellement, je dessine le faire-part de mariage de ma petite-fille, mais ce n’est pas comme le vélo, le dessin, si on ne le pratique pas souvent, c’est difficile de s’y remettre !

La dernière question est libre : de quoi avez-vous envie de parler pour conclure cette rencontre ?

Oh… je veux défendre mon domaine principal, la littérature jeunesse. Le Français Jean-Claude Mourlevat a reçu le prix ALMA (Astrid Lindgren Memorial Award), considéré comme le Nobel de la littérature jeunesse, et personne ou presque n’en a parlé. À l’image de l’enfance en France, considérée juste comme un passage pour être adulte. La lecture est si importante. Les parents devraient lire les livres de leurs enfants, cela créerait plus de liens et permettrait davantage de discussions…

Les 18 exils de Susie
Naître, Être une fille, Entrer à l’école, Être loin de ses soeurs, Être juive, Infiltrée chez les garçons, Être intello, Être sioniste, Être amoureuse, Être mère, Être immigrée, Être veuve, Errer, De souris grise à femme fatale, Être malade, Le nid vide, Faire le deuil, Mourir.
Et les vôtres ?

Susie c’est aussi…
– Une naissance à Newark, États-Unis, ville également de Philippe Roth, Paul Auster, Stephen Crane, Harlan Coben…
– Une carrière de professeur d’anglais, enseignante pendant 36 ans, avec Palmes académiques à la clé
– Un doctorat en littérature comparée (sur Philippe Roth en partie)
– Plus de 150 livres jeunesse, traduits en 20 langues, et récompensés par de grands prix,
– De nombreux Best-sellers : La Sixième, Lettres d’amour de 0 à 10, La Grosse patate
– Des chaussures taille 43 !

Susie aime…
– Philip Roth, Anne Franck, Françoise Dolto, Gershwin, Augustin Trappenard (élève préféré de sa fille Aliyah)
– La France, ses médecins et ses hôpitaux
– Écouter France Inter
Les quatres filles du docteur March
– Le mariage, la famille, être grand-mère
– L’amour, le sexe
– Les cœurs
– Les balançoires
– Être une princesse
– Cuisiner
– Les séries télé
– Avoir 14 ans
– Les vêtements  (a « la fringale des fringues« )

Susie n’aime pas…
– Les jeux de cartes et les jeux en général
– Les maths
– Les collants (« mon pire ennemi« )

(photo Une : Susie Morgenstern © Celine Nieszawer/ Leextra / L’Iconoclaste)