Ennemie publique

Ennemie publique

Parmi les personnages de la tragédie, Atrides ou Argonautes, Médée est celle qui fait le plus frémir. Médée, c’est la sorcière, la femme indigne, le monstre. Monstre, vraiment ? Au TNN et au Théâtre Liberté, voyageons en compagnie de Tommy Milliot, à la rencontre de cette ogresse légendaire, au cœur d’un chant horrifique à souhait.

Ce n’est pas n’importe quel texte qu’a choisi notre metteur en scène Tommy Milliot ; non pas celui d’Euripide, plus ancien, où tonnent les chœurs antiques, mais celui de Sénèque. Soit la réinterprétation romaine, « moderne », du texte grec, à l’aulne du stoïcisme. Ce que cela apporte, dans la trame narrative, c’est la place prépondérante de la volonté du personnage, point central de l’Univers, loin des influences extérieures. Ici Médée est maudite, oui, mais moins par les Dieux que par ses propres choix funestes. L’œuvre s’ouvre sur une prédiction, de la bouche même de la protagoniste : « Je deviendrai Médée. » Sorte de menace larvée et confuse. Puis la pièce n’est que le déroulement inéluctable qui l’amène à devenir ce prodige dans le maléfice, cette aberration, ce « monstre » au sens moral, et au sens d’être unique et sans pareil. « Maintenant je suis Médée », conclura-t-elle, juste avant d’assassiner ses enfants.

Qu’il est tragique le fait qu’elle ne découvre son identité profonde qu’au prix du sang, et au terme de toute chose ! Quand bien même. Une fois que l’on a dit cela, a-t-on tout dit ? Ne peut-on observer de plus près le drame de cette femme ? Elle brûle pour Jason d’une passion totale. Pour lui, elle a trahi son pays et tué père et frère. Pour le voir lui échapper, puisque l’ambitieux lui préfère la fille du roi Créon. Vous imaginez bien que Médée, bafouée, voit rouge… Médée est un monstre, mais elle est aussi une femme coincée dans un monde d’hommes. Cela, Sénèque, le philosophe de l’équilibre, l’évoque aussi… Et sur son chemin tortueux, elle avance vers le précipice, mais aussi vers la réflexion. Médée est au début de son parcours, naïve, instinctive, agressive. De la matière brute. Qui à la lumière de l’introspection, se révèlera enfin.

« Je vous donne Médée, toute méchante qu’elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification« , disait Corneille. A notre tour de nous frotter à la furie de cette femme hors normes.

7, 8 & 9 oct 20h, Théâtre National de Nice. Rens: tnn.fr / 13 & 14 oct 20h30, Théâtre Liberté, Toulon. Rens: chateauvallon-liberte.fr

(photo : Médée © DR)