Le 109 fait peau neuve

Le 109 fait peau neuve

C’est le titre d’une journée de réflexion qui s’est tenue le 23 septembre autour des prochaines étapes de transformation de ce site niçois, quelques jours avant un grand week-end festif qui marquait le dernier volet d’Eclairage Public 2021. Cette rencontre devrait permettre, espérons-le, de préciser l’avenir du 109 en libérant les énergies et la créativité. Quant à l’aspect festif, il a été marqué par une forte orientation vers les Arts Urbains : un de leurs pionniers Speedy Graphito, et ses invités d’ici et d’ailleurs en furent les phares, rappelant que Nice partage une histoire singulière avec les arts de la rue.

Les anciens abattoirs de Nice, les plus grands d’Europe dans les années 60, font partie de l‘histoire de Nice. Véritable mémoire architecturale de la vie ouvrière et industrielle du quartier, ce lieu fut un centre d’activité important autour de l’âpre métier de bouche qu’est la boucherie. Aujourd’hui, grâce à la Culture et ses différents métiers, il retrouve peu à peu une intensité de vie sous un nouveau nom, Le 109. Il a fallu chercher, inventer, parfois se tromper, pour connaitre ces trois dernières années un succès grandissant avec d’importantes manifestations telles Éclairage Public, ou avec de grandes expositions, comme celle autour de Ben en 2019, puis en 2020, où plus de 100 artistes exposèrent dans le cadre de Mon Eté à Nice, et avec Manifesta, en 2021. C’est grâce à l’État, qui a mis en œuvre le concept de tiers-lieu sur les bases du rapport remis par Patrick Levy-Waitz au gouvernement, que Le 109 fait peau neuve

Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ?

« Le tiers-lieu représente un lieu physique d’échanges et de faire ensemble, dont le projet commun est partagé par l’ensemble des usagers. Il constitue un lieu de reconquête économique en s’adaptant aux évolutions les plus récentes de la société« . C’est donc une démarche collective d’intérêt général, qui s’inscrit dans la coopération territoriale dès sa conception. Par nature unique, il est non réplicable. Il émane d’un collectif d’acteurs culturels, qui souhaitent créer ensemble de nouvelles dynamiques économiques ou sociales en réponse aux enjeux de leur territoire. C’est en réunissant les habitants et futurs usagers du lieu, dessinant ainsi les contours de sa communauté active, que ses activités vont se définir et que le projet pourra s’ajuster. Espaces de coworking, fablabs, repair’cafés, fabriques de recherche, friches culturelles… Tous ces tiers-lieux ont en commun de réunir plusieurs activités, de participer au développement économique d’un territoire et d’animer une communauté de personnes qui y travaillent et y vivent. On comptait, en 2018, 1800 tiers-lieux en France, dont 800 hors métropole.

Patrick Levy-Waitz est devenu le « Monsieur Tiers-Lieu » après avoir remis son rapport sur la mission coworking, Faire ensemble pour mieux vivre ensemble, en 2018. Il est à la tête de France Tiers Lieux, l’association qui soutiendra les projets de tels sites pour le compte de l’État.

Le 109 comme tiers-lieu

Un état des lieux et une synthèse ont été réalisés sur site ce vendredi 23 septembre 2021. Ils aident à mieux comprendre la mutation qui a permis de développer ce lieu particulier.

Dès 2008, la décision a été prise de le préserver de la destruction et d’ouvrir Le Chantier 109. Un projet qui a favorisé la relocalisation des plasticiens et associations qui n’avaient plus d’espaces, de mener des projets singuliers, d’accueillir des événements ou de produire des expositions. C’est ainsi qu’ont été posées les bases d’un lieu dédié à la Culture, dans une acception large et véritablement innovante, qui regroupe les énergies autour d’un projet commun.

En offrant des espaces de travail et de diffusion, en permettant des croisements disciplinaires et des nouveaux rapports aux publics, Le 109 aura ainsi permis la consolidation de nombreux projets culturels et artistiques qui s’inscrivent dans les urgences de notre époque. Le site, aujourd’hui utilisé sur 9 000 m², est entré dans une phase décisive de son développement et de son rayonnement, dont les principes ont été définis et arrêtés dans une étude – Le 109, Tiers Lieu 2.0 – réalisée en 2019 par Fabrice Lextrait et Mathieu Nicoletti, menée en relation avec l’ensemble des acteurs culturels du 109, la Villa Arson, la DRAC et la Région. La délibération du Conseil Municipal du 31 juillet 2020 a depuis confirmé la phase de transformation du projet proposé dans l’étude. Le principe retenu doit permettre de gérer le 109 comme un tiers-lieu, « un lieu qui ne se définit pas par ce que l’on en dit, mais par ce que l’on en fait… Un bien commun entretenu par et avec un collectif dans un cadre de confiance où des individus se réunissent pour travailler et explorer, en développant une approche intelligente de la gouvernance. »

Le dessein est de développer un projet Culturel avec un axe à la fois urbain, économique, éducatif, écologique, social et sociétal. Le 109 nouveau installera sur son site des activités aux économies multiples, relevant du public, du privé et de l’intermédiaire. Ces activités peuvent être des activités de travail, de formation, d’hébergement, d’exposition, etc., qui doivent pouvoir vivre ensemble et contribuer à la cohérence et à l’attractivité globale du site. Cette nouvelle étape implique une adaptation du mode de gouvernance, où il s’agit d’associer les différents acteurs : collectivités, et résidents, entre autres. Une structure coopérative de gouvernance doit permettre un transfert de crédits de la ville de Nice et des nouveaux partenariats publics (État, Région, autres collectivités…) avec une montée en charge sur les trois premières années qui consolident un budget de fonctionnement d’environ 1,85M€ pour cette nouvelle phase. Ce budget prévoit une capacité de production et de coproduction de l’ordre de 500.000€ la première année. Le 109 accompagnera ainsi les propositions des autres structures résidentes et des structures invitées. Le meilleur exemple est la prochaine mise en place, au 109, d’une SMAC, Scène de Musiques actuelles, menée par l’association Panda, et soutenue par le Ministère et la Région, afin d’accompagner la créativité des jeunes musiciens, chanteurs et compositeurs.

Le Maire de Nice, Christian Estrosi, conclut ainsi à propos de ce projet atypique : « En libérant les énergies et la créativité, en développant l’innovation et les transversalités entre les différents acteurs, le 109 se situe clairement dans cette dynamique qui renforce la cohésion sociale et territoriale. C’est pour toutes ces raisons que le 109, aux côtés des Studios de la Victorine, occupera une place prépondérante dans la démarche de candidature de Nice au titre de Capitale Européenne de la Culture pour 2028, après Paris en 1989, Avignon en 2000, Lille en 2004 et Marseille en 2013. »

Speedy Graphito : pionnier !

Speedy Graphito était apparu lors de cette journée professionnelle. Il est par ailleurs intervenu en septembre en maître d’œuvre aux côtés de quelques artistes invités, et a réalisé lors d’Éclairage Public une performance rendant hommage à Verbes d’États et produisant un fac-similé d’une performance réalisée avec Ernest Pignon-Ernest.

Speedy Graphito est notre Keith Haring national. Il est un des symboles de la naissance du Street art, et plus généralement des arts urbains qui sont nés en France dans les années 80… On doit sa première venue à Nice à Verbes d’États, qui fut un agitateur culturel des rues azuréennes dans les années 80 et 90. Flash back ! Cette structure dont le credo était de mixer les publics et les modes d’expressions sans aucun préjugé d’origine, de culture ou de genre, fait figure de précurseur du « faire ensemble » dans le 06, certes de manière plus nomade, mais dans le même lien plus distant à l’autorité ou à l’institution. Gageons que le 109 trouve son économie pour se dégager de ce lien… Verbes d’Etats est aussi précurseur à Nice en matière de création post moderne, surtout musicale, que ce soit avec le rap (avec le premier concert de hip hop et la venue du mythique DJ Dee Nasty lors des 24 h de Planche à Voile) ou la new beat belge (avec des groupes « indus » comme Front 242 qui ont amené l’électro sur les scène azuréennes).

Speedy et quelques autres se mêlèrent, à l’invitation de Verbes d’Etats, à des créateurs de chez nous, pour constituer une « équipe » qui investit un Cours Saleya bondé, le Château des hauts de Cagnes, les Musées de Nice et leurs Galerie de la Marine et des Ponchettes, les scènes des MJC, la Cafétéria Casino de la Prom’ (aujourd’hui le Forum), qui avait un espace Galerie, mais aussi le Carnaval de Nice où Verbes d’Etats fit défiler dans les corsi officiels, comme le veut la tradition, les jeunes des quartiers grâce à une troupe de break dance. Son leader, le désormais reconnu chorégraphe Mourad Merzouki, créateur d’une des meilleures compagnies européennes de ce mode créatif (Käfig), fut l’un des artisans du succès de cette parade !

Speedy est donc revenu à Nice en septembre avec Lady M et OX, cofondateur des Frères Ripoulin. Signalons que ces derniers participèrent à la première édition d’Art Jonction International, la foire internationale de l’Art de Nice, où artistes azuréens (Patrick Bocca Rossa, Gilles Chaix, Patrick Moya, Gilbert Caty, Sales Gosses, Huet…) et parisiens (Pinon, Gray, Vive La Peinture, Banlieue Banlieue…) ont investi la moitié du Palais des expositions ! Bref, Speedy Graphito est toujours aussi frais et créatif, 35 ans après. Il fait partie de cette génération « post-punk » très proche des jeunes artistes de la génération actuelle que l’on pourrait qualifier de « pré-effondrement », proches des idées de Greta Thunberg, et aussi méfiants envers les GAFA que des industries pétrolières…

Speedy a conservé cet univers onirique, qui parle à cet endroit étrange de nos cerveaux relié à l’enfance et à nos instincts primaires… Comme un conte graphique, il rend les choses possibles par la facilité apparente de son trait qui apparaît davantage encore lors de ses prestations en direct : tout semble glisser, tout semble simple comme dans un conte pour enfant alors qu’on parle d’Art, qu’on parle de cette génération qui portait le noir comme on porte les couleurs d’un club. C’est le paradoxe de sa génération dont le slogan No fun, no futur a gardé toute sa vérité. C’est aussi ce qui donne toute sa jeunesse à sa création, empreinte de ce désir de vivre, et donc, curieusement, d’aller à l’encontre de son propre slogan. C’est la grande différence des générations post-années 80 : il n’y a qu’une certitude, celle de vouloir vivre, durer et que ce soit joyeux… La radicalité du noir ne s’adressant qu’aux cupides, aux puissants, aux paranos et tout compte fait, aux dangers pour l’humain. Ainsi, au beau milieu de ses petits personnages géométriques, enfantins et lunaires, il écrit : « Noir comme l’espoir« , « La performance à l’état brut« , « Un Art vivant« , « Si la vie est un instant précieux, l’Art est sa mémoire« , « Comme un chien sans collier, j’erre dans les rues de Nice, à la recherche du dernier palmier« … On finit toujours par entrer dans cet univers onirique, où tout semble aussi simple que son geste, qui pourtant reste profond, toujours positif et ludique. Une autre façon de vivre cet effondrement, ou de l’éviter peut-être… L’avenir nous le dira. Merci Speedy pour cette bouffée d’air frais, d’air libre !

(photo Une : Le 109 lors du weekend festif Eclairage Public © Frédéric Pasquini)