TNN : cathédrale du partage

TNN : cathédrale du partage

Muriel Mayette-Holtz aime le Théâtre. Ancienne directrice de la Comédie Française, elle sait ce que veut dire faire fonctionner une « grande maison ». Il fallait bien ça pour prendre de plein fouet, dès son arrivée, la Covid, les confinements et la démolition prochaine de son théâtre… C’est sa créativité et son dynamisme qui lui donnent la force de franchir ces obstacles, avec aisance, humour et classe. La programmation intra et extra-muros du TNN, les ateliers et projets atypiques qu’elle imagine sont autant de liens qu’elle tisse avec le public.

Moteur en scène!

Parmi les nombreux projets mis en place par Muriel Mayette-Holtz depuis son arrivée, la déclinaison de Moteur!, concept imaginé par Caroline Sénéclauze, qui propose à des jeunes issus de milieux modestes et de la diversité de réaliser un mini film vidéo de 1minute 30 sur quelqu’un qu’ils admirent, leur héros du quotidien. Expérience inspirante, le projet permet de développer la confiance en soi, et offre la possibilité aux lauréats de participer à des campus de la confiance, à des ateliers Serious-Game Moteur, et la montée des marches à Cannes.

Moteur en scène!, dont la 1e édition s’est déroulée début novembre au TNN, a invité sur scène des duos intergénérationnels pour aborder au plateau et mettre en voix la transmission. Muriel trouve ce projet magnifique parce qu’il développe la créativité des jeunes gens et qu’il est très difficile d’être positif dans la société française actuelle. Pour elle, dans l’avenir, il ne devrait pas y avoir uniquement 25 lauréats qui montent les marches de Cannes et bénéficient des workshops, mais 400, 500 ou 1000 pour créer une « génération moteur« . Elle est enthousiaste quand elle voit ces jeunes ! « Ils ont de l’amour dans le cœur, ils ont de belles choses à donner. Ça donne une vision un peu différente de ce qu’on imagine d’une société désespérée qui n’a pas d’avenir et qui n’a pas envie de procréer », comme nous le serinent les oiseaux de mauvais augure des « robinets à terrer » que sont devenus les médias mainstream.

Alors elle veut aller plus loin… Elle cherche la bonne formule avec les étudiants du Pavillon Bosio, l’école d’art de Monaco. Bien entendu, tout ne peut être parfait dès le début, mais ils cherchent la formule la plus fluide. Présenter sur un plateau les héros du quotidien évacue la solitude qu’impose la construction, pour au contraire accentuer la spontanéité, la rapidité et le rythme, car l’aboutissement est tout de même un mini show en public. L’idée de base : « Le plateau est à toi, prends-le !« , car les libertés ne se donnent pas, elles se prennent. Un autre axiome important pour former la jeunesse. Après la 1e session, trois autres sont prévues prochainement, et quand la bonne formule sera trouvée, elle la proposera à tous les CDN (Centre Dramatique National) de France… Ce qui est une autre manière de faire rayonner Nice et de booster son image dans le « réseau ». Pour elle, il est grand temps de rééquilibrer l’importance de la Culture en province, face à une certaine « suprématie de la culture parisienne« , que ce soit au niveau des budgets, de l’information et de la communication. C’est aussi une des raisons pour lesquelles elle a choisi Moteur! et qu’elle le développera à sa manière… C’est à dire en scène !

Cette volonté d’élargir le spectre du public, on la retrouve aussi dans différents ateliers, animations, rencontres… Car pour Muriel Mayette-Holtz, « le théâtre est la cathédrale du partage« . Alors elle fait de la pédagogie. Les gens n’aiment pas ce mot, pourtant ce n’est que générosité, c’est aussi une manière de répondre à cette question sur le théâtre : « À quoi ça sert ? » Et quand on lui dit qu’il faut se réinventer, elle répond : « On ne réinventera jamais le Théâtre, parce qu’il n’y a pas plus archaïque comme rapport : quelqu’un qui est devant quelqu’un d’autre et qui lui raconte une histoire… ou qui fait l’imbécile… ou qui lui montre son miroir… » Elle ne veut rien laisser de côté, ni les arts plastiques (elle recevait Orlan récemment pour le festival OVNI) ni les avocats, personne. « Il faut que les jeunes s’y sentent chez eux, mais aussi toutes les disciplines, toutes les ambitions de réflexions humaines, on n’a jamais eu autant besoin d’intelligence et de rendez-vous avec la réflexion parce que la politique n’est plus capable de nous la donner. »

…et spectacles hors les murs

Avec la démolition de son bâtiment prévue pour 2022, le TNN va travailler hors les murs dès janvier. Pas nécessairement un problème pour elle, qui est venue à Nice pour améliorer l’outil. Bien entendu, la démolition est « inconfortable », mais elle apprécie beaucoup plus de construire un meilleur outil. En effet, l’Iconic (actuellement en travaux), l’église des Franciscains, transformé en théâtre et La Cuisine – théâtre éphémère actuellement situé en Suisse – sont des outils plus adéquats que le TNN actuel, difficile d’accès et qui n’a pas d’ouverture sur la rue. Et si la ville de Nice a pour ambition de devenir Capitale Européenne de la Culture, plus de scènes ne feront qu’améliorer la circulation dans les arts. « La Cuisine était à Carouge en Suisse depuis 10-12 ans. Ils sont en train de la démonter et vont la monter ici à l’ouest de Nice, où il n’y pas d’équipement culturel. La ville est en train de se déployer à l’Ouest, il faut donc que la Culture y soit présente. Ce ne sont pas des projets confortables, parce qu’il faut sortir de notre zone de confort, il faut aller dehors… Mais on le fait déjà ! La Covid nous a obligés à le faire : on est notamment allé sur la coulée verte, on ira à l’Ariane, au Théâtre Lino Ventura, avec Les Voyages de Gulliver. Je trouve que c’est une ambition presque utopique, mais que j’épouse absolument. » Muriel Mayette-Holtz se dit qu’elle a la chance d’ouvrir, avec son équipe, en 2022, le Théâtre des Franciscains, La Cuisine et l’Iconic ! « Ça devient délirant, impossible et magique. C’est assez extraordinaire !« 

En janvier 2022, le dernier spectacle donné au TNN sera Le bruit des loups d’Etienne Saglio, un spectacle magique lui aussi. « C’est un magicien qui en est à l’origine. Il fera aussi un spectacle pour les enfants dans la petite salle. C’est un spectacle qui réconcilie toutes les générations et pourrait bien convaincre ceux qui ne savent pas à quoi sert le Théâtre, parce que ce sont des rêves éveillés qu’on n’oublie pas.« 

(photo : Muriel Mayette Holtz © David Atlan)

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