Libérer le désir

Libérer le désir

Fatiha Sadek est conteuse, comédienne, metteuse en scène, auteure, formatrice, créatrice d’événements autour de la parole. Elle est créatrice d’un nouveau genre tant sa démarche a mis en avant la parole donnée aux femmes. C’est en 2009 qu’elle fonde la Cie Conte sur moi. En janvier, elle présente Frissons intimes, récits érotiques de femmes… La vraie libération des femmes ne serait-elle pas celle de leur désir ?

Si les livres l’inspirent beaucoup, elle préfère glaner ses histoires au fil de ses rencontres. Bien souvent, elle mêle celles-ci à sa propre histoire, pour rendre ses récits universels : « L’histoire intime dans l’histoire collective« , explique-t-elle. Elle s’intéresse également au conte thérapeutique, anime aussi des ateliers de pratique artistique autour de la parole et initie professionnels et pédagogues à L’art de conter. En parallèle, elle développe des ateliers de pratiques artistiques auprès de publics dits sensibles qui lui permettent de collecter la parole et de la mettre en valeur par des expositions, des recueils de récits et des spectacles. En 2017-2018, elle intègre le projet collaboratif et participatif 99 Femmes mené par L’Entre-Pont, à Nice, et dont elle assure les ateliers d’écriture et la direction d’acteurs auprès de femmes de tous âges, toutes origines et conditions sociales. C’est ainsi qu’en 2017 est né le projet polymorphe de Frissons intimes, récits érotiques de femmes qui peut se décliner sous formats multiples, en se combinant, ou s’écoutant séparément : spectacle intime et intimiste, dîners érotiques, ou encore ateliers d’écriture, qui, indépendamment de la création du spectacle, pourront donner lieu à l’édition d’un bel objet à lire, toucher, sentir et ressentir…

Des récits universels…

Fatiha est une féministe dont le but est de libérer la parole des femmes et leur droit au plaisir, tout en ouvrant la possibilité aux hommes de mieux les comprendre et de se libérer de cet aspect « performatif » qui bloque la communication quand il est question de sexe. Elle travaille avec Katia Polles sur ce spectacle. Elles ont choisi volontairement un metteur en scène masculin, Olivier Debos, pour le bon équilibre entre sa part de féminin et de masculin, équilibre auquel Fatiha et Katia sont particulièrement sensibles. D’autant plus que son regard cherchera toujours à permettre à cette création d’être audible par les deux sexes, que ces récits de vie intimes soient des universels.

C’est lors d’un petit déjeuner avec Katia qu’est né ce projet, à la suite d’un bilan sur leur propre existence et sur leur rapport à la vie, à l’amour, au sexe. Échange difficile sur le grand vide sensuel qui les habite à ce moment-là, sur le besoin de rencontre avec l’autre, vécu dans leurs corps et leurs âmes. « Dans nos premières semaines de résidence, nous avions découvert un duo de conteuses aux allures contrastées, presque clownesques, avec un clown blanc accompagné de son auguste. La conteuse, clowne blanche, véhiculait des images universelles et des symboles afin d’atteindre des sphères spirituelles (…) L’idée nous est alors venue de disposer sur le plateau un grand rectangle de couleur, constitué d’un amoncellement de vêtements féminins. Un patchwork coloré au sol. Pour symboliser la diversité des récits et des manières si riches et si différentes de vivre sa sexualité. Une résidence supplémentaire, une nouvelle semaine de travail sur le plateau, nous a permis d’affiner le duo de conteuses. La dualité clownesque s’est adoucie, les personnages se sont affinés, rapprochés, se sont faits plus complices. Un dialogue intime entre deux femmes semblait se dessiner. » Le tapis patchwork s’est transformé en grand rond cousu, qui s’est « imposé de lui-même sur le plateau, par le jeu des manipulations et des transformations, par la magie des corps et la force des images« , indique Olivier Debos. « Alors ce rond, cet antre, cette grotte, ce tipi, ce tapis volant, ce lit, ce torrent, s’est presque invité comme un troisième partenaire… Et ainsi s’enroule autour de lui la ronde des récits. »

Toute l’équipe est donc en symbiose de la scénographie aux costumes, jusqu’au metteur en scène et aux comédiennes, pour que chacun puisse vivre intimement et se retrouve dans ces histoires. Les deux conteuses se sont emparées de ces instants où la peur, la culpabilité, les croyances, la religion, l’éducation, où toutes ces barrières se sont effondrées pour laisser le corps s’exprimer et la rencontre se faire en toute liberté…

…pour exprimer le désir en toute liberté

C’est donc dans un espace intime, sur le plateau, que les deux artistes se livrent : l’une Juive et l’autre Arabe, deux voix, deux écritures, une passion commune, celle des histoires et le même besoin urgent de raconter le monde. Une subtile alchimie qui oscille entre sagesse et drôlerie, sensualité et excentricité, puissance et fragilité… La collaboration avec la danseuse et chorégraphe Emmanuelle Pépin a également amené le langage du corps : « Les accompagner revient ici à souligner, révéler un geste, une attitude, un déplacement, issus de leurs ressentis. C’est aussi trouver l’authenticité d’un état que le corps peut à lui seul laisser jaillir, pour rendre un souvenir, un espoir, un rêve (…) C’est ouvrir le large champ du “frisson” qu’il soit tremblement, saisissement, vibration, ébranlement, abandon, dans ce geste langage qu’est le corps et la voix« .

Il n’y a dans Frissons intimes, récits érotiques de femmes aucune radicalité, mais au contraire une recherche de paix pour que s’exprime le désir en toute liberté. Il y a, chez Fatiha, cette volonté du vivre ensemble, qui bien souvent est contrecarrée par le machisme et par une éducation culpabilisante. Et puis parler du désir des femmes, c’est gommer tout patriarcat, tous les interdits, tous les rituels qui à travers les siècles et les continents les ont empêchées de pouvoir vivre leur sensualité. Sans violence, avec poésie et humour, elles parviennent à établir un dialogue avec toutes les femmes et – espérons-le – à montrer aux hommes qu’il y a une autre voie que la domination et la « performance ».

Contrairement à ce que disent certains polémistes que nous ne nommerons pas ici, il n’y a pas une négation de la masculinité, mais un rééquilibrage entre la part féminine et la part masculine dont chacun des deux sexes a besoin pour aimer l’autre quelque soit sa sexualité. C’est une question d’ouverture, de recherche, de sensation et certainement pas d’interdit. Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent et se partagent, surtout quand il est question d’érotisme. Peut-être qu’en parler de la sorte débloquera des rapports qui en ce moment tournent à la violence, signe de la montée d’une frustration généralisée dont ce spectacle pourrait libérer tout un chacun. Gageons que les programmateurs osent, qu’ils se libèrent et ne restent pas dans le politiquement correct qui de plus en plus fait ressembler nos liens sociaux au Tartuffe de Molière.

8 jan 20h30, Espace Magnan, Nice [ANNULÉ] / 19 fév 20h30, Théâtre Francis Gag, Nice. Rens: contesurmoi.com

(photo : Frissons intimes, récits érotiques de femmes © Eric Clément-Demange)