Trouver son équilibre avec Alice Guyon

Trouver son équilibre avec Alice Guyon

Alice Guyon est une drôle de zèbre. Elle sourit à tout le monde, rayonne sous ses cheveux poivre et sel qu’elle refuse de teinter, et conserve toujours dans son sac à main un mini bol tibétain qu’elle fait vibrer quand ça lui chante. C’est vrai qu’à ses heures perdues, elle joue de la musique, sculpte, peint, écrit des poèmes et anime des ateliers philo dans les écoles. Et pourtant, Alice Guyon n’est pas une hippie ! Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, elle est doctoresse en neuroscience, s’est penchée depuis longtemps sur la pharmacologie moléculaire et cellulaire, et occupe un poste de directrice de recherche au CNRS, à Sophia-Antipolis. Dans son dernier ouvrage, Comment enrichir son environnement pour aller mieux ?, Alice Guyon propose de judicieux conseils pour aller mieux.

Quand et comment avez-vous pris conscience que le corps et l’esprit étaient liés ?

C’est venu progressivement. Au cours de mon parcours de vie, j’ai voulu aider un proche atteint de dépression et j’ai commencé à chercher ce qui pouvait améliorer son état dépressif. J’ai d’abord réorienté mes recherches en pharmacologie moléculaire et cellulaire sur la dépression, mais face à l’échec de l’approche médicamenteuse, j’ai cherché d’autres solutions et j’ai découvert le yoga, la sophrologie, le Taïchi et la méditation. Je dois dire que cela ne l’a pas aidé, mais j’ai constaté les bénéfices sur mon état de santé puisque tous mes problèmes chroniques ont disparu (migraines, asthme, rhumes et angines, eczéma etc.). Je me suis mise à vivre en conscience de l’instant présent, avec un plus grand discernement et une plus grande ouverture. J’ai pris conscience à quel point j’avais jusqu’alors négligé mon corps et j’ai pris l’engagement de le respecter et de lui permettre d’être en accord avec mon esprit. Cela se traduit par une pratique quotidienne (yoga, respirations, méditation) et une attention particulière portée à la nourriture, le sommeil, l’activité physique, mais aussi une écoute de mon intériorité, mes émotions, mes sensations corporelles, mon intuition. Par la suite, j’ai eu envie de comprendre les mécanismes d’action de ces pratiques et d’étudier leurs effets sur différentes indications afin de faire connaître leurs effets et de favoriser leur entrée dans les parcours de soins. J’ai décidé de mettre mes compétences au service de l’évaluation des Interventions Non Médicamenteuses (INM).

Pensez-vous que nous soyons actrices et acteurs de notre propre santé ? Avez-vous des exemples scientifiques ?

Nous sommes dans une société où la plupart d’entre nous attendent de l’extérieur la solution de tous nos problèmes. Le réflexe quand on est malade est de prendre un médicament et nous attendons souvent que les symptômes soient bien déclarés pour réagir. Pourtant, un grand nombre de pathologies en particulier chroniques (obésité, diabètes, maladies cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux, asthme, anxiété et dépression) sont évitables par des actions de prévention simple et de bon sens : favoriser une nourriture saine de type régime méditerranéen, en évitant les aliments ultra-transformés, les aliments trop sucrés, trop gras, les boissons sucrées, l’alcool et le tabac ; faire de l’activité physique régulière ; avoir des rythmes de vie compatibles avec nos rythmes endogènes ; limiter les expositions au stress (par exemple en ne regardant pas trop les programmes anxiogènes à la radio ou la télévision, et en refusant les situations dans lesquelles nous ne nous sentons pas épanouis). En étant acteurs de notre santé, nous pouvons renforcer notre système immunitaire et lutter d’autant mieux contre les maladies, y compris les infections et les cancers.

Bien sûr, il y a des éléments de l’environnement auxquels nous sommes exposés qu’il est difficile d’éviter comme la pollution de l’air, de l’eau, les pesticides, les insecticides, les perturbateurs endocriniens. On parle maintenant du concept Une seule santé (ou One health) puisque la santé de l’humain est étroitement liée à celle de l’environnement : les végétaux, les animaux, les microorganismes, les écosystèmes. Mais là encore nous sommes acteurs, car les consommateurs, c’est nous ! chaque euro dépensé est un vote et nous pouvons avoir une influence aussi sur ces facteurs par exemple en achetant de préférence des aliments bio (cultivés sans pesticides et insecticides) et en consommant moins de viande et de poisson surtout lorsqu’ils sont issus d’élevage intensif (une industrie qui contribue à polluer et qui de plus pose de terribles problèmes éthiques et écologiques).C’est donc à nous de ménager notre « capital santé » et si nous ne le faisons pas, tôt ou tard, le corps nous fait payer l’addition.

Comment les scientifiques parviennent-ils à mesurer les effets positifs de la méditation, de la marche, de la musique, etc. ?

Les mesures peuvent être d’ordre quantitatif sur des paramètres physiologiques (par exemple, le rythme cardiaque ou respiratoire, la pression artérielle, la température, les expressions faciales, les paramètres de la voix, la posture, l’activité cérébrale mesurée par électrophysiologie ou imagerie, l’inflammation, la diversité du microbiote intestinal, etc.). On peut avoir recours à des mesures de paramètres subjectifs, à l’aide de questionnaires ou d’échelles à remplir par les participants (par exemple, des échelles de douleur). Enfin, on peut aussi faire des études qualitatives en réalisant des entretiens d’explicitation des participants et en recueillant leurs témoignages individuellement ou en groupe. Une analyse détaillée des entretiens permet de recueillir des informations sans a priori qui, une fois traitées par différentes méthodes, permettent d’ouvrir de nouveaux champs de recherche.

Les protocoles se mettent en place. Pour le médicament, la règle est de tester les effets sur différents paramètres et de les comparer à ceux d’un placebo (une molécule inerte, mais dont la prise peut exercer des effets physiologiques par la voie psychosomatique). Le protocole se fait classiquement en double aveugle (expérimentateur et participant ne savent pas quel groupe prend le placebo ou le médicament) et les participants des deux groupes (contrôle et médicament) sont tirés au sort (randomisation). On accepte sur le marché les médicaments qui ont un effet supérieur à l’effet placebo et des bénéfices supérieurs aux risques. Pour les interventions non médicamenteuses, on peut aussi se demander quelle est la part de l’effet placebo, de l’alliance thérapeutique, du contexte dans toute pratique évaluée. Le choix du groupe contrôle est complexe et va dépendre de la question posée. Veut-on savoir si la pratique a globalement un effet bénéfique sur une indication particulière, des contre-indications, la pratique agit-elle par effet placebo, par alliance thérapeutique ou par une action spécifique ? Plus de 400 pratiques ont été répertoriées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Le chantier est immense ! Avec un réseau de chercheurs et au sein d’une nouvelle société savante sur les INM, la NPIS (Non Pharmacological Intervention Society), nous tentons d’avancer sur ce terrain.

Le rôle de l’amour dans tout cela ?

Pour moi, l’amour c’est prendre soin des autres, de soi, de l’environnement, par des petits gestes d’attention, et par des actions qui tentent de construire un monde meilleur. Cela passe par l’empathie, la compassion et la conscience de l’interdépendance. Les études en neurosciences montent qu’être dans un sentiment d’amour, de gratitude, de compassion fait libérer dans notre cerveau des neurotransmetteurs comme la dopamine, l’ocytocine, la sérotonine et les endorphines qui nous font nous sentir mieux, diminuent notre perception douloureuse, facilitent les apprentissages et stimulent le système immunitaire. L’amour, plus on en donne, plus on en a, et mieux on se sent.

Dans votre livre, vous dites qu’un environnement enrichi modifie le poids et la taille du cerveau, favorise l’apparition de nouveaux neurones et agit sur la plasticité cérébrale. Comment cela est-il possible ?

Des études en laboratoire sur les rongeurs montrent que des souris élevées dans des cages enrichies en stimulations de toutes sortes (sensorielles, sous la forme de jouets et labyrinthes ; motrices, sous la forme de roues d’exercice et sociales, car elles sont plus nombreuses dans les cages) ont en effet un cerveau plus développé que des souris élevées dans des cages standard où elles ont juste à boire et à manger et sont en petit nombre. 

Cela peut se transposer à l’humain : lorsque nous enrichissons notre environnement, nous stimulons les différentes aires cérébrales. Par exemple, lorsque nous faisons du sport, de la danse ou de la musique, nous stimulons les aires sensorielles et motrices. Lorsque nous avons des interactions sociales, nous stimulons aussi d’autres aires cérébrales comme les aires de la reconnaissance faciale, etc. Les réseaux de neurones qui sont sollicités deviennent plus actifs et se mettent à libérer des facteurs comme le BDNF (Brain derived neurotrophic factor), un facteur de croissance qui favorise la plasticité des synapses (contacts entre deux neurones) et même la création de nouvelles synapses. Cela induit même l’augmentation de l’apparition de nouveaux neurones dans une aire du cerveau impliquée dans l’apprentissage et la mémorisation (le gyrus denté de l’hippocampe). Stimuler son cerveau le rend plus opérant, et en plus d’agir sur le système nerveux, l’enrichissement de l’environnement augmente la masse musculaire, diminue la masse grasse, diminue l’anxiété et la dépression et stimule le système immunitaire. Mais il faut le faire sans stress, car trop de stimulations dans des conditions stressantes peuvent à l’inverse mener à l’épuisement et au burnout. Il s’agit donc d’apprendre à « challenger » son cerveau en sortant de nos habitudes tout en étant attentif à ce qui nous fait du bien (ce qui est différent pour chacun), mais sans basculer dans le stress négatif.

Vous écrivez que vous rêvez de créer un lieu de rencontre qui accueillerait tous les âges, toutes les cultures et où chacun.e partagerait son savoir afin de retisser du lien social. Pensez-vous que cela soit possible dans nos sociétés individualistes ?

Bien sûr que c’est possible ! Cela existe déjà dans de nombreux endroits ! Je participe en ce moment au projet Une base à Nice qui vise justement à créer un tiers-lieu aux Diables Bleus à Nice, et les premières rencontres ont déjà commencé. Cette association a pour objet d’expérimenter ensemble dans un espace bienveillant, solidaire et joyeux, une transition écologique, sociale, économique et culturelle. L’idée est de s’acheminer vers un mode de vie durable, résilient et respectueux de la Terre et du vivant. Ce lieu de convivialité proposera des rencontres, des spectacles, des ateliers de permaculture, de cuisine, de méditation, de communication bienveillante, d’écriture, de jeux comme la fresque du climat et bien d’autres. Notre société a besoin de retisser un lien social, surtout dans le contexte actuel. J’espère que ce genre d’initiative se développera de plus en plus sur le territoire.

Pouvez-vous nous parler de votre plaidoyer Pour une Côte d’Azur saine, durable et solidaire ?

Avec plusieurs scientifiques et médecins de la région, nous avons rédigé une lettre afin de souligner les nombreuses vulnérabilités de notre territoire qui justifient un nouveau regard, scientifique et systémique, sur les enjeux climatiques et environnementaux. Cette lettre ouverte a-partisane, qui a déjà recueilli plus de 500 signatures de scientifiques, de soignants et de citoyens, est destinée aux élu.es, et motivée par les engagements nationaux et locaux, le bon sens et l’intérêt général.

Grâce à ce plaidoyer, nous espérons attirer l’attention des citoyens sur le concept de santé globale sur la base d’une expertise médicale et scientifique, et orienter les décisions vers une évolution du territoire en accord avec les impératifs climatiques et écologiques. La lettre ouverte se termine par des propositions et j’espère que la nouvelle génération, en particulier, s’en emparera.

Justement, à ce propos, pouvez-vous parler des ateliers de philosophie que vous animez pour les enfants ?

Je pense qu’il est très important d’apprendre aux enfants à penser, à avoir un esprit critique. J’ai suivi la formation de l’association SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble), créée par Frédéric Lenoir, pour devenir animatrice d’ateliers de philosophie. Chaque lundi, j’anime un atelier dans les écoles. L’atelier débute par une courte pratique de l’attention. Puis nous abordons différents sujets, la plupart du temps choisis par les enfants, comme la vérité, la liberté, l’amour, la mort, le respect, le harcèlement, le racisme, le sexisme, etc. Les enfants expriment leur opinion et apprennent à écouter et respecter les opinions des autres, à conceptualiser, reformuler, argumenter et à synthétiser leurs idées. Ce genre d’expérience leur permet de réfléchir par eux même et d’aiguiser leur discernement, ce qui leur sera essentiel pour faire face à la crise écologique, climatique, sociale, sanitaire et environnementale.

Avez-vous d’autres livres ou expos/concerts prochainement ?

Je participe à l’organisation d’un Workshop de l’Académie 5 de l’Université Côte d’Azur sur le dialogue entre bouddhisme et science, et les apports que ce dialogue peut avoir sur la cognition. L’événement aura lieu le 15 janvier 2022 dans la salle du Galet de l’Hôpital Pasteur 2 à Nice (Informations et inscriptions ici).

Je fais également partie de l’organisation de la Semaine du son de l’Unesco 2022 à Nice, du 22 au 29 janvier prochains, durant laquelle auront lieu de nombreuses conférences, des spectacles de théâtre et danse et des concerts (dont le concert de la Casar’monie et un concert du JazzLab de l’INRIA auxquels je vais participer à la trompette !). Plusieurs de ces événements sont gratuits. Nous sommes cette année parrainés par Laurent Perez del Mar, et nous avons le plaisir d’accueillir Boris Cyrulnik, Pierre Lemarquis, Catherine Guéguen, Emmanuel Bigand et bien d’autres (Informations et inscriptions ici).

Enfin, je suis membre de l’OMCNC (Observatoire des Médecines Complémentaires et non Conventionnelles) et nous organisons le 29 janvier 2022, en partenariat avec l’Unité de Médecine Intégrative du CHU de Nice et la faculté de médecine, une journée La conscience dans tous ses états consacrée au thème de la conscience et à l’application des connaissances sur les états de conscience modifiés et pratiques psychocorporelles, au soin des patients et à notre vie quotidienne. Cette journée sera l’occasion de promouvoir l’enseignement et la recherche dans ce domaine des pratiques intégratives, ainsi que de partager le retour d’expérience de patients. Au programme des conférences de Michel Bitbol, Antoine Lutz, Jean-Gérard Bloch et bien d’autres (Informations et inscriptions ici).

Comment enrichir son environnement pour aller mieux ? d’Alice Guyon (Ed. Ovadia) 20 €

Pétition Pour une Côte d’Azur saine, durable et solidaire

Rens : aliceguyon.wixsite.com/sitepro

Photo crédit: John Pusceddu