03 Mar Niciensis pixit
Caricaturiste, conservateur de musée, peintre, archéologue, poète, acteur culturel de la vie niçoise, ce sont presque toutes les facettes de Gustav-Adolf Mossa que présente, à travers un parcours finement composé, l’exposition qui se tient au Musée des Beaux-Arts Jules Cheret, à Nice.
Mossa, un nom qu’on associe volontiers au Carnaval de Nice, tant l’artiste, comme son père Alexis, a donné à cette manifestation profondément locale son visage moderne actuel, en dessinant des maquettes, peuplées de grotesques et de fantasmagories, des chars parmi les plus extraordinaires du défilé, mêlant Ratapignata, Ségurane et autres sujets plus contemporains… Ce carnaval, où la monstruosité est de mise, n’est certainement pas sans influencer l’univers imaginaire de Gustave Adolf, qui dès l’âge de 10 ans se retrouvera sur l’un de ces chars (où il faillit perdre la vue) et dont l’œuvre peinte fait se côtoyer des personnages que l’on pourrait croire descendus de ces fameux véhicules.
Mossa, c’est également un nom associé au Musée Jules Cheret, car le fils, à la suite de père, en fut le conservateur de 1926 à 1971. C’est par cet héritage niçois que débute l’exposition, avec le tableau intitulé La Nicette, une allégorie de Nice que le peintre signe Niciensis Pixit (Le niçois signe), marquant ainsi son attachement à une région qu’il a arpentée en long en large et dont il fixe les paysages, les chapelles, à l’aquarelle…
Héritage niçois et univers licencieux
Puis vient un autre tableau, le premier réalisé par le jeune Gustav-Adolf et qui représente une Salomé, cette fleur du mal, thème à la mode aussi bien chez les peintres comme Gustave Moreau, que chez les écrivains ou les poètes de son époque, et qui revient de façon cyclique dans les œuvres symbolistes de Mossa présentées dans l’exposition. Le thème de la femme, à la fois objet de sensualité, mais aussi castratrice, fatale, est d’ailleurs récurrent dans son œuvre, révélant peut-être, comme l’analyse le cycle de conférences autour du thème Un oedipe revisité (proposé en partenariat avec le Centre Universitaire Méditerranéen), un rapport complexe à la sexualité et au féminin. Rapport complexe qui s’exprime sans détour dans plusieurs œuvres exposées, à l’image de La sirène repue ou de Elle, « la Joconde du musée », comme la désigne la conservatrice Johanne Lindskog avec un sourire.
Là où Mossa innove, c’est en inscrivant ces figures dans les décors Art Nouveau de la Belle Époque, traités avec un art du détail et une ironie grinçante. À déambuler dans les salles, on perçoit toute l’ambiguïté de la personnalité de Mossa, peintre lié au Décadentisme de Péladan, Huysmans, ou Jean Lorrain, mais aussi peintre critique de cette déliquescence dont Nice est le plus souvent le décor : jeux d’argent, sexe, courses, fêtes… La guerre traversera violemment son parcours et mettra un terme, en 1918, à son œuvre plastique. Mais Gustave Adolphe n’est pas seulement l’homme de l’art pictural, il est également un ardent défenseur des traditions régionalistes, en particulier linguistiques, comme en témoignent les nombreux programmes des pièces de théâtre en nissart, ses planches sur le carnaval, son implication dans le groupe de danses folkloriques Nice la Belle…
C’est à un vrai travail de détectives que se sont livrées la conservatrice du musée Johanne Lindskog et l’historienne de l’art Yolita René, exhumant les très nombreuses archives du musée, découvrant ici et là des objets, sollicitant les collections privées… Elles ont également fait le choix d’introduire du son, avec des extraits musicaux et la lecture de certains poèmes de Mossa dits par les élèves du conservatoire de Nice. Une exposition très réussie, questionnant tout autant une personnalité qu’une époque.
Jusqu’au 15 mai, Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice. Rens: musee-beaux-arts-nice.org
photo : Elle © Michel Graniou