Maud Tabachnik : « Le courage est une vertu cardinale »

Maud Tabachnik : « Le courage est une vertu cardinale »

Maud Tabachnik, grande prêtresse française du roman noir, est l’invitée phare du 2e festival Polar sur la Ville, le 16 avril à Antibes. Entretien.

Pour quelles raisons ce salon d’Antibes vous tient-il à cœur ?

Cela fait plus de 30 ans que je participe à des salons. Et, même si c’est très fatigant, c’est toujours un grand bonheur de revoir ses amis écrivains, et de rencontrer ses lecteurs du sud de la France, plus difficiles à séduire.

Votre dernier roman Les faisceaux de la peur, parle de la montée du fascisme et de l’hitlérisme en Italie.

Mon livre est sorti il y a 3 semaines. Il s’agit du tome 1 et je suis déjà en train d’écrire le tome 2 qui devrait sortir à la fin de l’année. Dans ce premier tome, je mets l’accent surtout sur le début de la guerre. La vie en France se poursuit comme s’il ne se passait rien, à part la ligne Maginot. J’évoque la mortelle indifférence des français, leur apathie coupable qui a tout laissé arriver, et notamment les lois anti juifs de Pétain.   

L’histoire se déroule d’abord en Italie, où l’antisémitisme était alors très faible. Pas de journaux extrémistes ou de ligues comme en France par exemple. Mais avec la montée du fascisme, de Mussolini, de la violence, de la délation et de la lâcheté, mes héros s’exilent en France. L’histoire de mon livre se télescope avec une autre actualité, car l’invasion de l’Ukraine était également préparée de longue date. Pour moi, c’est comme en 40, mais sans le bouton rouge. Je suis étonnée que nous, malgré tout, vivions bien avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. On ne prévoit rien et on attend que cela arrive. On aurait plus éviter ce qui s’est passé en 40 avec Hitler, au lieu de laisser faire et regarder ailleurs. Et maintenant nous avons la même attitude. C’est la répétition de l’histoire et de nos inconséquences.  

Vous écrivez des romans policiers – politiques, historiques… En quoi ce genre est-il le meilleur vecteur de vos idées ?

Mes livres sont toujours politiques. Même mes premiers ouvrages. Si c’est plus facile de faire passer mes idées dans un roman policier, c’est davantage grâce à la forme, à la structure même. Les gentils d’un côté, les méchants de l’autre ! Comme dans les westerns que j’aime beaucoup. Dans le polar, il faut des rebondissements, une progression de la dramaturgie. Il ne doit pas tomber des mains ! Après plus de 30 livres, j’ai de la chance, on ne m’a jamais reproché ça.

Vous avez dit « les hommes n’apprennent pas« . Le roman policier en fait-il mieux le constat ?

Ce n’est pas chez les femmes qu’on trouve les grands criminels, à de rares exceptions près. Ceux qui veulent conquérir, ce sont les hommes. Est-ce seulement une question d’éducation ? On laisse les hommes développer cet état d’esprit, mais chez les femmes, on l’empêche. Les plus grands criminels de l’histoire sont des hommes, ceux qui ont une idéologie.

L’un de vos romans s’appelle L’impossible définition du mal. Résume-t-il votre pensée sur le sujet ?

En fait, le plus emblématique à ce sujet, c’est mon livre Ciel de cendres, qui se déroule en Ukraine et se situe des années 20 jusqu’à Tchernobyl, et couvre l’histoire de trois jeunes hommes, trois destins.

Pour vous, la vertu cardinale est le courage. Davantage encore en ce moment ?

Je ressens une forte douleur de voir ce qui se passe en Ukraine, car c’est effrayant. Mais dans l’émoi, on en dit et en fait parfois trop et cela enlève de la valeur au propos. Il faut se concentrer sur les faits historiques, ne pas se laisser attraper pas l’émotion des images. En général, on manque de connaissances, de culture politique et historique pour comprendre ce qu’il se passe dans les pays en conflits. Chacun a son histoire. Lorsque j’étais kinésithérapeute-ostéopathe, j’ai eu à soigner des personnes revenues des camps et cela m’a donné une autre vision de ce qu’ils ont vécu et de leurs bourreaux. Actuellement, les Ukrainiens ont l’immense courage de se battre, de résister face à Poutine. J’admire cela.

Vous a-t-on proposé d’adapter vos romans via une série ou un film ?

Mon roman J’ai regardé le diable en face, sur des féminicides à la frontière du Mexique et des États-Unis, a été kidnappé par Hollywood, « à l’insu de mon plein de gré » ! Avec mon éditeur de l’époque, Albin Michel, nous n’avons rien pu faire, aucun droits d’auteur possible. J’ai quand même été invitée à la première du film Les oubliées de Juarez, avec Antonio Banderas…

Vous adorez la vie, cela se ressent, et cependant vous avez opté pour le « noir »…

J’aime la vie, c’est un cadeau magnifique, et j’ai failli la perdre plusieurs fois. Je m’insurge contre ceux qui pleurnichent, et je n’occulte pas le côté sombre. Les gens formidables, ceux qui gardent leur humanité, s’en sortent. Mais le monde est dangereux, le mal est une hydre, à plusieurs têtes donc, et il se cache partout. Le rejet de l’autre s’observe en permanence. Il faut être vigilant, s’opposer, ne rien laisser passer.  

Les réactions de vos lecteurs influent-elles sur vos écrits ?

Je tiens une page Facebook sur laquelle je donne des informations, mais aussi qui me permet de pousser des coups de gueule, assez forts ! Mais cela ne m’a jamais posé de problèmes. Je ne fais lire à personne mes manuscrits, pas même à mon entourage, afin de ne pas être influencée. Au moment de l’écriture, un auteur est très fragile. On ne sait pas si le thème est bon, s’il est bien en adéquation avec l’écriture… Je ne veux pas d’avis subjectifs, seulement l’avis professionnel d’un ou d’une éditrice.

Votre prochain roman mettra en valeur les femmes résistantes en Angleterre ?

Le premier tome des Faisceaux de la peur s’arrête en quarante, en France. Dans le second, les enfants des héros passent en Angleterre. Cette suite n’est pas facile. J’envisage aussi des sauts dans d’autres pays. Je me documente beaucoup sur le pays : j’ai au moins 10 livres sur l’Angleterre en lecture !

photo : Maud Tabachnik © Philippe Quaisse

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