Seules… en scène

Seules… en scène

Deux femmes, deux seules en scène, une émotion intense… Les lumières se rallument grâce à ces créatrices azuréennes.

Il est rare que nous revenions sur des spectacles passés, mais nous sommes sûrs que ces deux pièces de théâtre feront leur chemin, tant les deux femmes y rayonnent de leur bienveillance, leur tendresse et leur empathie. A priori, elles n’ont rien en commun, l’une se trouvant au début de sa carrière, quand l’autre est en pleine maturité. L’une lance une compagnie, l’autre est à la tête d’un festival qui, depuis un bon moment, met les femmes en haut de l’affiche…
Dans Dernier Chagrin, la jeune Élisa Schramm nous fait partager la vie avec son frère autiste, celui qu’elle appelle « mon paysage« . La mise en scène d’Angèle Canu propose différentes façons d’appréhender le « langage non parlé », suggérant l’utilisation d’outils contemporains : smartphone, Google traduction, micro pour changer de voix, de timbre, de langue, ainsi que la vidéo comportant des regards, des messages cryptés… C’est une manière d’explorer tous les possibles pour tenter de résoudre, transformer, les « bruits » de Joseph en un langage intelligible. S’appuyant tantôt sur le public, tantôt sur le son et la vidéo, ce seule en scène écrit comme un monologue devient alors une conversation. Cet incroyable dialogue qu’Élisa parvient à instaurer entre le public, elle et son frère, est plein d’humour, d’amour et de poésie. Un si jeune talent qui a tant à nous apprendre : une merveille de spectacle tant par sa modernité et sa tendresse, que par son authenticité et son audace…

Françoise Nahon est de ces opiniâtres qui n’ont pas peur de faire, de s’investir. Son amour pour la scène l’a menée à créer ce festival Femmes en scène, il y a près de 15 ans. Sur scène justement, Françoise la comédienne nous a récemment mis une grosse claque… Paris, décembre 1942. La police française laisse une heure à Ita L., née Goldfeld pour préparer ses affaires avant de les suivre. Une heure entre la vie et la mort. Mais cela, Ita ne le sait pas. Tout ce qu’elle sait, c’est que l’un d’eux lui a conseillé « d’en profiter » et qu’elle est seule. Son fils emmené à Drancy, il y a quelques jours, quels choix lui reste-t-il ? Une heure, durant laquelle elle se souvient : Odessa, son mariage, les pogroms, sa fuite, son arrivée en France, la patrie des Droits de l’Homme, ses enfants, la 1e guerre mondiale qui a lui enlevé son époux… Une heure de doute, de peur, d’espoir. Une heure de vie, de ce qu’il en reste encore… Cette histoire vraie, et les souvenirs d’Odessa, au moment où cette ville, une nouvelle fois, subit les affres du totalitarisme, prennent une autre dimension. Mais au moment où certains énergumènes se répandent en appels à la haine, disent que Pétain a aidé certains juifs, il était important de rappeler la réalité des faits, mais aussi leur inhumanité. Françoise a donné chair à cette femme naïve, désespérée qui n’ose même pas imaginer l’horreur qui l’attend. Son histoire est celle de tant d’autres qui sont partis sans savoir que le voyage serait un aller simple vers l’enfer. Énorme performance, énorme émotion, qui dans la situation actuelle sonnent comme un signal d’alerte : restons vigilants et n’acceptons plus ceux qui appellent à la haine !

photo : Françoise Nahon dans Ita L., née Goldfeld © DR