Le TNN en ébullition

Le TNN en ébullition

Nice est en train de se doter d’un réseau de salles amené à remplacer le bâtiment principal du Théâtre National de Nice, en cours de démolition. Un maillage culturel qui n’est pas sans rappeler la « Belle époque »…

Le Théâtre des Franciscains est la première des nouvelles salles niçoises à ouvrir ses portes au public : c’est le nom choisi pour une bâtisse à la beauté immuable qui n’est pas le fruit d’un architecte « branché », sorti de nulle part, mais le résultat d’une vaste opération d’archéo-architecture. Nice, ce coup-ci, ne rase pas son passé historique comme le firent certains maires à gros cigare… Sur ce site historique avait été construit un grand cinéma devenu boîte de nuit où plusieurs générations, dont la mienne, ont appris la fête, la musique, le spectacle dans une salle « art déco ». Mais, situé en sous-sol, le cimetière des moines qui avaient construit cet édifice, fut recouvert d’une masse de déchets durant plus de 70 ans… Il a donc fallu gommer toutes ces balafres, pour faire ressurgir un couvent, son église et son cimetière, et redonner le lustre à cet édifice. Daté du XIIIe siècle, la rénovation de ce monument est aussi le combat de 20 ans d’un historien, que je ne nommerais pas, car la lumière dans le Sud, on le sait, est très dangereuse… Mais je tenais à célébrer cet acte de résistance pour la défense de la mémoire de ceux qui reposaient là, et pour le respect du patrimoine niçois. Il se reconnaîtra, et nous le remercions pour son opiniâtreté, sa générosité et sa compétence.

Il est clair que l’apparition des Franciscains, proche de la Coulée Verte, en plein centre-ville, est un signe, la volonté de redonner à Nice un lustre culturel, puisque son inauguration sera suivie de celle de La Cuisine, à l’ouest de la ville, là où Nice grandit, là où il n’y a aucun équipement culturel, comme si on avait jugé, pendant des décennies, que les 100.000 habitants de ces quartiers n’y avaient pas droit ! Plus à l’Est, le site actuel du Palais des expositions verra s’implanter une grande salle, comme un sas entre la coulée verte et la vallée du Paillon. Sans compter l’ouverture d’un théâtre de moyenne importance en centre-ville, dans le luxueux centre commercial Iconic, dont on peut regretter l’architecture moderniste qui fera face à l’architecture de type haussmannien de la gare Nice-Thiers, mais qui devrait renforcer le spectacle vivant en cœur de ville. N’oublions pas que la Diacosmie deviendra l’atelier de production du TNN et qu’une petite salle pour des spectacles plus « pointus » s’y est ouverte…

Cette multiplicité de salles est annoncée comme un retour à la période dorée, où Nice faisait la fête et brillait par sa culture avant le bétonnage des années 70. Une période où le Palais de la Méditerranée, le casino Municipal et sa rotonde place Masséna, l’Opéra et la Jetée promenade brillaient de mille feux comme le maire se plaît à le rappeler. Mais rappelons-nous aussi qu’à cette époque le Théâtre des variétés, situé derrière les Galeries Lafayette existait aussi (remplacé par une brasserie triste et sans terrasse), que le Grand Escurial fut un théâtre extraordinaire, puis un cinéma sublime, un night-club kitchissime et pour finir …un supermarché ! Alors on comprend cette volonté de maillage de la ville en vue de sa candidature pour devenir Capitale européenne de la Culture. Gageons que les salles privées se multiplient aussi, la Culture et ses lieux ne devraient pas appartenir uniquement au secteur public, c’est à cela que l’on voit si une ville, et non pas une municipalité, est culturelle…

C’est dans ce contexte que nous avons rencontré Muriel Mayette-Holtz, qui après avoir dirigé la Comédie française pendant de nombreuses années, puis la Villa Médicis à Rome, est devenue directrice du Théâtre National de Nice et a pris en charge l’accompagnement de cette transformation avec un allant qu’il faut souligner, alors que la saison du TNN est loin d’être terminée. Et ça aussi, c’est une occasion de se réjouir. Viva !

Michel Sajn: Ce calendrier d’ouverture de salles est aszez démentiel. Comment vivez-vous cette situation ?

Muriel Mayette-Holtz : Les salles de spectacles, c’est comme les maisons, ce n’est pas toujours facile de respecter les calendriers. Et parfois, ce n’est pas livré avec toutes les finitions. La question pour nous, c’est comment arriver à sortir un spectacle en laissant les ouvriers travailler aux derniers détails. Il y a toujours des finitions qu’on mesure seulement quand on est dedans. Donc ces deux lieux, Les Franciscains et La Cuisine, vont profiter de l’été pour se peaufiner. On ne peut pas tout anticiper jusqu’au moindre détail. Hier, par exemple, je discutais avec les personnes en charge d’Iconic, car nous ouvrons là-bas en janvier 2023 : je suis en train de travailler avec eux sur le plan du plateau pour essayer de faire tout ce qu’il faut pour qu’il soit le plus « théâtral » possible.

Des bouleversements qui s’ajoutent au contexte de « l’après-Covid »…

Je n’ai pas eu le choix, mais au fond si je soutiens ces projets, c’est parce que je suis une enfant du service public. Et je trouve qu’avoir des lieux dans des quartiers diffé-rents, même si c’est moins confortable qu’un lieu unique, c’est plus « juste ». Le défi aujourd’hui n’est pas tellement de savoir si on est pour ou contre le déménagement du TNN, mais comment tu remets le Théâtre dans la vie des gens et des jeunes. Et ça, après deux ans de Covid, deux ans de canapé où tu avais l’impression de pouvoir avoir la Culture dans ton salon, c’est très compliqué. Le spectacle vivant c’est avant tout proposer une rencontre, un partage, un échange… Et cette mutation, j’ai envie de dire qu’elle tombe à pic, parce qu’on est obligé de se remettre en question. On est obligé de trouver un nouveau « mode » de théâtre… C’est une des raisons du succès incroyable de nos procès des grands personnages le dimanche, de nos contes d’apéro, de tout ce que l’on fait dehors. Parce que c’est gratuit, bien sûr, mais aussi parce que c’est facile, que ça fait partie de la vie. Après, quand tu vois Les Franciscains, la beauté du site met tout le monde d’accord. Il fait partie de ces lieux qui ont une âme. La Cuisine sera très différente. Je voulais absolument qu’elle garde son nom parce que ce sera avant tout une « super cantine » dans un quartier où il n’y a rien. Et le théâtre n’est de toute façon pas fait pour des stades comme le rock’n’roll ou le sport, donc c’est important d’avoir des espaces à taille humaine.

Niveau programmation, qu’est-ce qui nous attend ?

On va ouvrir Les Franciscains le 26 avril 2022, avec le spectacle Le Sourire de Darwin (ndlr : Muriel Mayette-Holtz est à la mise en scène), conçu comme une promenade, avec Isabella Rossellini. Puis en juin, on aura une création absolument géniale de Samuel Nakache, programmée à Avignon cet été, qu’on coproduit avec le Théâtre des Bouffes du Nord : Sans tambour. Ce sont de jeunes artistes qui écrivent des spectacles entre musique et théâtre. Ici, on les verra jouer au piano des Liederkreis de Schumann dans une maison qui s’effondre sur un Steinway, dès le début du spectacle… C’est quelque chose de très visuel, avec une écriture très contemporaine. On continuera avec une autre création, pour le coup, plus régionale : Le Temps des Trompettes, monologue de Félicien Chauveau, qui fera le festival d’Avignon. Il avait envie de se confronter au seul en scène. Ça me permet d’accompagner un spectacle sur la vie de Molière du temps où il aimait Lully, où il aimait la danse… La Cuisine ouvrira quant à elle au mois de mai avec Bérénice (ndlr : Muriel Mayette-Holtz est ici aussi à la mise en scène). Je réserve ce lieu aux spectacles d’envergure, plutôt du « grand répertoire », puisqu’il bénéficie d’un grand plateau de 20m d’ouverture. On partira ensuite en tournée à Paris, avec Bérénice, à la rentrée. Puis on présentera la saison 2022-2023 en septembre, avec une programmation qui s’établira entre ces trois salles complémentaires.

Le Sourire de Darwin: 26 au 30 avr 2022, Les Franciscains, Nice
Bérénice: 20 au 25 mai 2022, La Cuisine, Nice
Sans tambour: 1er au 5 juin, Les Franciscains, Nice
Le Temps des trompettes: 15 au 18 juin, Les Franciscains, Nice
Rens: tnn.fr

photo Une : Inauguration du Théâtre Les Franciscains – Mars 2022 © Ville de Nice