Trois révolutions et un enterrement [ANNULÉ]

Trois révolutions et un enterrement [ANNULÉ]

À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes dans l’attente du second tour des Présidentielles et trouvons une étrange résonnance avec l’œuvre que nous présentons : Des Territoires, trilogie théâtrale de Baptiste Amann, présentée lors du 75e Festival d’Avignon et le 21 mai 2022 sur la scène nationale Châteauvallon.

Car il nous semble, depuis notre îlot d’observation, que la France gronde de colère, de toutes les colères, de toutes les voix déçues, de tous bords. Y compris celles, taiseuses hier – les plus paradoxales – qui ne se s’élèvent que pour maudire. Et forcément, la question du désengagement et des croyances se pose, à la lumière du taux d’abstention record. C’est comme si l’esprit des Français, entité organique et faite uniquement de pulsions, se tenait loin des territoires de la chose publique, pour plonger dans la stupéfaction, puis de nouveau dans la torpeur, cycliquement, sans passer par la réflexion et l’analyse. Nous sommes les enfants de notre Histoire, bien sûr, mais où en sommes-nous avec elle, finalement ? Il est intéressant de connaitre le point de vue de la jeune génération sur la question ; Baptiste Amann, dramaturge né dans les années 80, présente une ample fresque à Châteauvallon, Des Territoires, qui vaut le détour.

Trois frères et une sœur se retrouvent dans la maison familiale, à l’occasion de funérailles. Ceci pour la petite histoire, fil rouge qui guide les personnages à travers les questionnements du déterminisme, puisque, Tout les renvoie ici à leur origine sociale. Mais le récit s’ouvre peu à peu sur un vaste triptyque que Baptiste Ammann va dérouler 7 heures durant ! Oui vous avez bien lu, et à l’heure où les dramaturges taillent, coupent et compriment les œuvres à qui mieux mieux, jusqu’aux limites de la lisibilité, il fait bon voir des artistes inviter à cette audacieuse journée d’immersion à leurs côtés. Comme un temps suspendu de communion dans un monde allant trop vite.

Les 3 volets de notre fresque s’articulent autour 3 révolutions, avec un focus, à chaque fois, sur un.e activiste : 1789, à travers la figure de Condorcet (Nous sifflerons la Marseillaise). La Commune, à travers Louise Michel (…d’une prison à l’autre…) puis les événements d’Algérie, à travers Djamila Bouhired (…et tout sera pardonné ?). Trois formes de résistance dans des temps troublés, bousculés, violentés. Condorcet, c’est la résistance douce, la force de la modération, quand tous voulaient que le sang coule. Michel, la résistance furieuse du peuple broyé par l’autorité. Bouhired, c’est la résistance face à l’oppression, « en réaction à », mais de plus en plus dure, jusqu’à prendre les aspects du terrorisme (bien entendu, tout est ici question de point de vue, ceci aussi est passionnant…).

Intéressant, comme ces « focus » suscitent – et suscitèrent – thèses et antithèses. Comme quoi l’Histoire est mouvante et complexe… Au-delà de tous clivages, on voit bien avec ces Territoires qu’il est surtout nécessaire de se souvenir où l’on se situe, dans son schéma intime, et aussi dans la grande Histoire et ses séismes. Se souvenir des engagements qui nous précédèrent, pour le pire ou le meilleur, faute de quoi, nous dévissons…

21 mai 2022 17h, Châteauvallon, Ollioules. Rens: chateauvallon-liberte.fr

photo : Des territoires © Pierre Planchenault