Quand hospitalité devient hostilité

Quand hospitalité devient hostilité

Les expositions de créateurs et de commissaires latins ont cette particularité d’installer un débat d’idées sur notre histoire contemporaine. Loin d’un regard nombriliste de l’art sur l’art, Carla Filipe illustre avec Hóspede, à la Villa Arson, un instantané de la perte de vitesse des idées démocratiques au travers des tensions actuelles que subit l’Union Européenne où l’hospitalité tend à se transformer en hostilité.

Telle une anthropologue, Carla Filipe observe, collecte, documente les souvenirs de narrations individuelles et collectives ancrées dans la culture populaire d’un passé récent. Elle s’inspire de son expérience personnelle pour en faire une loupe qui lui sert à observer les modes de vie marginalisés par l’Histoire et les systèmes sociaux et politiques. Elle constitue ainsi un fonds d’archives très riche grâce à la récupération de ce qui a été rejeté, abandonné ou oublié – objets trouvés, éléments visuels –, et grâce au langage qu’elle utilise comme matériau. Elle y ajoute une esthétique lo-fi et punk associée à des panneaux de signalétique, du graffiti et des publicités politiques pré-numériques, qui enrichissent ce fonds tout en le rendant spécifique.

Dans son exposition à la Villa Arson, Hóspede, sous le commissariat de Marta Moreira de Almeida, Carla Filipe poursuit cette démarche créative, transformant ici le graphisme et le design de l’iconographie d’affiches politiques, syndicalistes ou coopératives en 28 drapeaux, un pour chaque membre de l’UE. Ceux-ci représentent aussi bien le poids de l’économie de chacun dans l’UE, que des références historiques qui leur sont propres. Pour elle, c’est une sorte d’illustration de ce que le philosophe français Jacques Derrida qualifiait de « double mémoire ». Hóspede désigne une personne qui occupe un endroit ou un espace en contrepartie d’une forme de paiement.

Au moment où le débat l’accueil de l’étranger agite le monde politique comme celui des pratiques artistiques contemporaines, la proposition de Carla Filipe fait de chaque État membre une entité fragilisée par la montée des nationalismes qui rendent équivoque leur relation à l’UE. Loin d’offrir des solutions, Carla Filipe révèle plutôt les tensions et les contradictions d’une période où le repli sur soi semble l’emporter sur la solidarité dans les relations internationales. Son exposition/installation couvre ce champ allant de l’hospitalité… à l’hostilité. L’actualité (crise migratoire, guerre en Ukraine, dépendance industrielle, montée des nationalismes) démontre aujourd’hui la fragilité de l’idée européenne, et remet en question la défense collective de valeurs considérées comme acquises, en particulier de la conception démocratique des États…

Jusqu’au 28 aou, Villa Arson, Nice. Rens : villa-arson.fr

photo : Vue de l’exposition Carla Filipe, Hóspede © Jean-Christophe Lett