02 Nov Alain Joutard, ou l’enfance lyrique
Passionné par le « spectacle musical », Alain Joutard a dirigé une vingtaine de créations originales d’Opéras pour enfants, alors qu’il exerçait les fonctions de Directeur Musical de la Délégation à la Musique et à Danse des Alpes Maritimes. Il crée actuellement une sorte d’académie, Juniors en Scène, où les jeunes talents repérés apprendront ce qu’il appelle les basiques : la musique, le rythme, le corps et la scène. Nous l’avons rencontré.
Alain Joutard a étudié la flûte, le chant, la direction de chœur et la direction d’orchestre au Conservatoire Supérieur de Musique de Genève, auprès de Michel Corboz, puis au CNSMD de Lyon dans la classe de Bernard Tétu. Chef invité de l’Orchestre Régional Alpes-Provence-Côte-d’Azur et de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée durant de nombreuses années, il dirigera également les musiciens et chanteurs de la Société de Musique Ancienne de Nice pour l’interprétation de cantates et d’oratorios baroques. Il occupera par la suite le poste de Directeur Musical de la Délégation à la Musique et à la Danse dans les Alpes Maritimes, puis celui de directeur du Conservatoire Départemental de Musique des Alpes-Maritimes.
Aujourd’hui retraité, il a profité de cette « nouvelle vie » pour relancer deux créations pour enfants, avec l’aide du Conseil Départemental 06, une collaboration renouvelée avec l’Éducation Nationale ainsi qu’avec celle du Conservatoire Départemental de Musique. La première fut présentée au Théâtre National de Nice, en 2020, puis au Théâtre de Bastia en 2021. Cet opéra pour enfants, qui s’intitulait Haut les Corps, était une commande faite à Bruno Coulais, prestigieux compositeur de musiques de film. Celui-ci avait déjà signé deux compositions pour Alain Joutard et ses opéras pour enfants : Il Gioco di Robin i Marion, et l’opéra équestre avec le cirque Gruss : Lucio, le rêve de l’âne d’or, composé bien avant la bande-son du film à succès Les choristes. Malgré la pandémie, il a pu faire à nouveau « respirer et chanter » quelque 800 enfants du 06 et 500 de Corse, tous élèves du primaire et du collège. L’ambiance était au challenge, et les spectacles ont dû être donnés avec port du masque de rigueur. « Chanceux », Alain Joutard a tout de même pu rejouer Haut les Corps, à l’issue du black-out planétaire, en septembre 2021 au TNN.
Pour l’autre création, Rivages, Alain Joutard et son équipe ont travaillé sur la mise en valeur des musiques et cultures du bassin méditerranéen, en conjuguant les talents de Benoit Urbain, directeur musical à la Comédie Française, et Isabelle Servol, metteuse en scène. Il réunissait en mai 2022, à l’Acropolis à Nice, 500 enfants devant 2500 personnes ! Grâce aux relations qu’il entretient avec Bruno Messina, actuel directeur de l’Établissement public de coopération culturelle de l’Isère et du Festival Berlioz, « nous avons aussi développé nos manifestations sur ce nouveau territoire, et fait participer 3000 enfants de ce département. »
Projet Juniors en Scène
Alain Joutard engage aujourd’hui une nouvelle phase dans son travail de formation puisqu’il compte ouvrir un centre de formation, qu’il a nommé Juniors en Scène, pour les talents qu’il aura repérés lors des différentes expériences d’opéra pour enfant. Cette idée s’appuie sur des constats opérés ces 20 dernières années où il s’est aperçu que nombre de petits solistes dans ses opéras ont suivi des chemins artistiques par la suite, mais extrêmement différents : un est devenu compositeur, un autre chante dans l’ensemble baroque Les Arts Florissants, un autre encore produit ses propres disques…
Il veut lancer cette action de développement des très jeunes talents en dehors de toute institution, type conservatoires. Pour lui, « ce sont de trop grosses machines qui auraient du mal à ne s’occuper que de cela, car déjà très occupés par l’enseignement du solfège et la formation musicale aux instruments« . L’explication à ce phénomène est à chercher dans l’Histoire, selon lui. Les conservatoires ont été créés à la Révolution pour diffuser la musique au plus grand nombre, mais la voix fut « chassée du Temple », parce qu’elle était en quelque sorte la partie sacrée de la musique portée par l’Église. Ces traces d’Ancien Régime ayant été soigneusement gommées, et pour cause, par la Révolution. Le chant a été réintroduit il n’y a pas si longtemps, mais à ses yeux, le Conservatoire reste une école d’instrumentistes à qui l’on fait faire du chant par simple vertu pédagogique, en complément d’un instrument.
Bien loin de cette mode des « radio-crochets » et autres concours TV, qui formatent commercialement plus qu’artistiquement les jeunes talents, ses principes de formation participent davantage de correctifs qu’il aurait souhaités pour lui-même : flûtiste de formation, il s’est notamment aperçu — du fait de la longueur de la flûte — qu’il avait pris de mauvaises habitudes corporelles qu’il a traînées jusqu’à la direction d’orchestre, où, malgré lui, il penchait vers la droite. Alain Joutard n’aime pas la vision selon laquelle il faut souffrir pour parvenir à l’excellence. Pour lui, la douceur et la transmission orale sont fondamentales pour pousser le jeune talent à oser tout, en tenant compte de ses futurs besoins sur scène, et non pas le rebuter.
La transversalité, accélérateur de créativité
Aussi veut-il appuyer sa méthode sur les quatre fondamentaux : la voix, le rythme, la scène et le corps. Avec une philosophie simple : pas de sectorisation comme on le fait dans les conservatoires où les enfants sont « fléchés » — ils peuvent faire de la musique ancienne, classique, du jazz ou de la musique actuelle, mais doivent choisir, ne peuvent pas tout faire. Ce manque de transversalité pourrait être un frein à la créativité d’un jeune esprit, selon Alain Joutard. Il base aussi sa progression pédagogique sur les observations qu’il a pu faire sur ses différents opéras pour enfants. « Quelle était notre originalité ? Il y avait un projet artistique fort d’où on déduisait la démarche artistique. À l’école par exemple, on devrait déterminer un sujet fort d’où l’on engagerait l’enseignement des mathématiques, du français… Et non pas multiplier les cours de français et mathématiques dans l’abstraction la plus totale« , au grand désespoir de nombre d’élèves.
D’ailleurs, il a souvent eu à faire chanter des choses difficiles aux enfants, les enseignants doutant d’y arriver eux-mêmes… Alors que les jeunes esprits sont bien plus capables d’assimiler que les « anciens », déjà formatés. Il est clair aussi que les quatre fondamentaux sont indissociables. Si le souffle est important, on sait que le rythme respiratoire l’est tout autant, le souffle devenant alors un impérieux besoin, pour chanter, pour danser, pour jouer. Tout comme savoir jouer la comédie est important pour chanter, sous peine de rester un chanteur impavide comme ont pu l’être certaines grandes voix d’opéras.
Alain Joutard étant parti seul sur cette idée, il lui fallait trouver des partenaires : le centre de Danse Off Jazz a adhéré à l’idée et lui fournit ses locaux. Il était important de trouver un partenaire niçois, car le bassin de population de l’agglomération azuréenne représente le terrain le plus favorable à la détection de jeunes talents — même si le projet reste ouvert à tous les autres.
Ainsi des petits danseurs pourront apprendre à chanter, des petits musiciens inscrits au Conservatoire vont peut-être se découvrir une vocation de chanteurs, et tous croiseront leurs savoirs, leurs apprentissages… Alain a su sans autoritarisme, sans heurts, faire chanter ensemble des partitions très compliquées à des enfants de tous milieux, et à plus de 500 sur scène ! Le lien, entre ses mains qui guidaient et les petites têtes, était incroyable, comme une osmose… Une authentique réussite pour cette méthode à laquelle des milliers d’enfants ont adhéré depuis 20 ans. Nous suivrons cette expérience qui place notre région à la pointe de l’innovation dans la notion de transmission des métiers de la scène et du chant.
Plus d’infos : FB Alain Joutard