02 Nov Danser pour faire société
Magali Revest est une chorégraphe, danseuse, plasticienne qui travaille grâce à des techniques « somatiques », toujours dans la recherche du lien humain et dans la prise en compte du contexte social. Elle est une chercheuse qui jamais ne s’arrête, guidée qu’elle est dans la foi en l’humain.
De Bruxelles à Nice, un chemin difficile
Magali a fait ses premières armes en Belgique, un pays où il est, selon elle, plus simple de lancer un projet, car les portes s’ouvrent très facilement et les possibilités d’avoir un public réceptif avec une ouverture d’esprit, plus grandes. Elle attribue cela à sa situation géographique, mais aussi à son multilinguisme et son multiculturalisme. Les œuvres que l’on y conçoit sont souvent liées aux mouvements sociaux et à la relation à l’autre, donnant ainsi un patchwork de visions dont la diversité fait sa richesse. En France, il y a une sorte de « rapport pyramidal« , estime-t-elle, une sorte de récupération de ce qui est populaire pour le mettre sur scène comme on l’a fait pour la danse Hip Hop, que l’on a extirpée de la rue en la codifiant de manière élitiste et en lui ôtant son caractère de rituel populaire et urbain.
Là-bas, elle avait sa propre compagnie : Kokeliko Théâtre, « qu’avec des k, pour que l’on puisse le lire dans toutes les langues« . Avec cette structure, elle a produit beaucoup de spectacles pour le jeune public, mais aussi des performances dans l’espace public, dont la première s’appelait Les yeux du monde, jouée dans les jardins, sur les places et en France sur quelques festivals, comme à Périgueux. L’idée était de parler du déplacement et du voyage, un leitmotiv dans son travail. « Comment transite-t-on d’un endroit à un autre et comment se nourrit-on de la rencontre avec l’autre ?« , même s’il ne parle pas la même langue. S’ouvrait alors un magnifique espace imaginaire.
Elle débarque à Nice il y a 5 ans, et repasse sous les fourches caudines de l’institution en présentant un master en danse à l’Université Côte d’Azur, pour lequel elle livre une réflexion autour de la danse et du dessin. Ce dernier, conçu comme trace d’un spectacle vivant qui implique le corps, mais aussi d’un travail collectif. Elle rencontre alors le photographe Frédéric Pasquini, qui fait évoluer sa recherche graphique vers la photo. C’est ainsi qu’elle est accueillie dans la structure Zootrope à la double « casquette » : photo et spectacle vivant. Ce qui là encore semble poser problème à l’institution qui reconnaît plus facilement le multimédia dans la sphère du virtuel que dans le réel…
La rencontre par le corps
Très préoccupée par l’humain et la notion de lien social, c’est le projet d’une paysagiste, Charlotte Némoz, qui va l’amener vers les « quartiers ». Pour son sujet de fin d’études, celle-ci voulait réaliser des relevés cartographiques de l’Ariane, à Nice, afin d’y créer trois parcours pour valoriser l’histoire patrimoniale de ce quartier et ainsi, la rendre à ses habitants. Magali devait quant à elle rester en lien avec les publics sur les rapports du corps afin de comprendre comment les habitants vivaient leur quartier et les lieux où ils pouvaient habiter.
Le Covid les a empêchées de réaliser le projet avec les habitants comme il était prévu. Il s’est alors réorienté sur un travail avec les écoles (7 ou 8 classes d’écoles primaires) : « On a travaillé dans et hors de l’espace de la classe, dans la cour« . Et là beaucoup de questions : « C’est quoi tout ce béton ? Est-ce que quelque chose pousse sous le bitume ? Et si ça ne pousse pas, est-ce qu’ils peuvent pousser dans un espace agréable ? Et à l’extérieur de l’école, est-ce que l’on peut planter des arbres ? Et peuvent-ils pousser ? (…) Ça passait par le corps, puis avec le dessin, et après, l’imaginaire. » Le résultat de ce projet nommé Retracer La Riana : une exposition de leurs travaux, un documentaire réalisé par Frédéric Pasquini, et une exposition de Charlotte Némoz, davantage axée science, présenté aux habitants le 18 mars dernier. Ainsi que la plantation de graines sur les trois parcours. « Mais… ça n’a pas trop poussé. »
Magali Revest en a tiré une réflexion quant aux enjeux. Elle s’est aperçue que nombre d’associations du quartier — émanations de collectivités ter-ritoriales, de bailleurs sociaux ou d’institutions — ne sont pas gérées par les habitants qui demandent peut-être autre chose, puisqu’on ne les interroge jamais sur leurs désirs. Le Covid a lui aussi aggravé la relation à l’autre. S’appuyant sur ces constats, elle a pensé qu’il valait mieux revenir à des choses simples, donc au corps : « Quel est notre corps physique, mais aussi quel est notre corps social, notre corps politique ? Et comment peut-on juste se rencontrer par le corps et pas uniquement par la parole ? » Car les habitants sont agacés par les promesses, ces discours incessants qui ne sont jamais suivis d’actes.
Elle propose à la DRAC, qui l’avait suivie sur le premier projet : Danse/Cité, pour dire qu’il y a une espèce de densité, quelque chose qui est en train de se cristalliser. Pouvait-elle aller dans les espaces privés et publics de ces quartiers ? Et mettre en place cette proposition artistique, c’est-à-dire performative dans les cours d’immeubles (semi-privé) ou dans les rues qui sont parfois l’enjeu de « confrontations » entre différents « clans » pour l’établissement de « territoires » ? Elle a tout essayé, les cours, les trottoirs. Elle est parvenue à se faire plus ou moins accepter : l’enjeu étant de prendre contact en dansant pour, peu à peu, attirer des habitants, souvent des jeunes, afin qu’ils répètent au Centre AnimaNice de l’Ariane. Son idée est qu’ils puissent créer leur danse grâce à un accompagnement créatif autour de leurs gestes, de leurs cultures. « Le Théâtre Lino Ventura est déjà réservé pour le 18 janvier 2023, afin de présenter cette performance et montrer toutes les vidéos réalisées dans les cours d’immeuble ou dans les rues« . Avec la difficulté traditionnelle de la réalisation d’images dans ces quartiers pour des raisons culturelles, mais aussi par méfiance envers la presse et la police. Magali se met à rêver : « J’aimerais trouver un auteur qui puisse, à partir des images et de tout le matériel que nous avons collecté, écrire quelque chose qui ne soit pas forcément dans le réel, mais qui devienne fictionnel. Ce projet pourrait devenir un laboratoire qui permettrait de répondre à une question essentielle : la danse peut-elle permettre de refaire société ? » Car le point de départ de son idée reposait sur le fait que nous ne parvenons plus à faire société. Pourtant, la danse n’est-elle pas un rituel humain ancestral ?
La Strada suivra cette expérience. Signalons que Magali Revest est invitée prochainement à participer à un colloque autour des nouvelles pédagogies à Bruxelles. Elle sera accompagnée d’un groupe de jeunes de l’association ALC, basée à l’Ariane. Elle a donc pris contact avec une association de quartier à Bruxelles qui fait un travail de danse dans l’espace public, et ira à sa rencontre avec les jeunes d’ALC pour imaginer les échanges possibles les habitants de l’Ariane.
Plus d’infos : magalireve.com & zootrope.org
photos : Magali Revest © Frédéric Pasquini